Taxation des Ultra-riches: Moteur de Croissance ou Frein Économique?

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Les mécanismes de redistribution pour réduire les inégalités

Les inégalités économiques ne cessent de croître depuis plusieurs décennies. Selon le rapport annuel d’Oxfam publié en janvier 2023, les 1% les plus riches de la planète ont capté près de deux tiers de la richesse mondiale créée depuis 2020, soit environ 26 000 milliards de dollars. Face à ce constat alarmant, la taxation des plus fortunés apparaît comme un levier potentiel pour redistribuer les richesses et financer des services publics essentiels.

Les mécanismes de redistribution par l’impôt permettent de réduire l’écart entre les plus riches et les plus modestes. Par exemple, une taxe additionnelle de 2% sur les fortunes dépassant 5 millions d’euros pourrait rapporter jusqu’à 60 milliards d’euros par an en France, selon une étude du Conseil d’analyse économique. Ces fonds pourraient être réinvestis dans l’éducation, la santé ou la transition écologique, bénéficiant ainsi à l’ensemble de la société.

De plus, le principe de capacité contributive soutient que ceux qui ont les moyens financiers les plus importants devraient contribuer proportionnellement plus au financement des dépenses publiques. Un euro prélevé sur une grande fortune a un impact moindre sur le niveau de vie du contribuable concerné qu’un euro prélevé sur un ménage à revenu moyen. Cette approche progressive de la fiscalité vise à assurer une justice sociale et économique.

Les effets sur la croissance économique et l’investissement

L’impact de la taxation des riches sur la croissance économique fait l’objet de nombreux débats. Certains économistes soutiennent qu’une fiscalité plus élevée sur les hauts revenus peut freiner l’investissement et l’entrepreneuriat. Cependant, des études récentes nuancent cette affirmation.

Une analyse réalisée par le Fonds monétaire international en 2021 a démontré que des niveaux d’imposition plus élevés sur les revenus élevés n’ont pas nécessairement un effet négatif sur la croissance. Au contraire, lorsque les recettes fiscales supplémentaires sont investies dans des infrastructures, l’éducation ou la santé, elles peuvent stimuler la productivité et la demande intérieure. Par exemple, en Suède, où les taux d’imposition sont parmi les plus élevés au monde, le PIB par habitant a augmenté de 2,5% en moyenne par an entre 2010 et 2020.

Par ailleurs, la réduction des inégalités de revenus est associée à une croissance économique plus durable. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié en 2015 une étude indiquant que l’augmentation des inégalités réduit la croissance économique sur le long terme. Un coefficient de Gini élevé, qui mesure les inégalités de revenus, peut limiter l’accès à l’éducation et aux opportunités économiques pour les populations défavorisées, freinant ainsi la croissance globale.

Les défis liés à l’évasion fiscale et à la mobilité des capitaux

L’un des principaux obstacles à une taxation efficace des plus riches réside dans l’évasion fiscale et la mobilité internationale des capitaux. Selon un rapport du Tax Justice Network publié en 2020, les gouvernements perdent chaque année plus de 427 milliards de dollars de recettes fiscales en raison de l’évasion fiscale internationale. Les individus fortunés peuvent déplacer leurs actifs vers des juridictions à faible imposition, rendant difficile la collecte des impôts.

En France, l’ancien impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a souvent été critiqué pour avoir incité à l’exil fiscal. Entre 2000 et 2016, environ 60 000 contribuables français aisés ont quitté le pays, entraînant une perte estimée à 200 milliards d’euros d’actifs, selon le Ministère de l’Économie. Cette fuite de capitaux a des conséquences directes sur l’investissement national et la création d’emplois.

Pour contrer ces défis, des initiatives internationales sont en cours. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a mis en place le Cadre inclusif BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) visant à lutter contre l’évasion fiscale des multinationales. De plus, l’accord historique de 2021 sur un impôt minimum mondial de 15% sur les multinationales, signé par 136 pays, marque une avancée majeure pour limiter la concurrence fiscale exacerbée entre les nations.

Les propositions actuelles et les perspectives pour une fiscalité équitable

Plusieurs pays envisagent ou ont déjà mis en place des mesures pour taxer davantage les grandes fortunes. Aux États-Unis, le président Joe Biden a proposé en 2022 une « Taxe des Milliardaires » visant à imposer un taux minimum de 20% sur les revenus totaux des ménages valant plus de 100 millions de dollars. Cette mesure pourrait générer environ 360 milliards de dollars sur dix ans, selon la Maison-Blanche.

Au niveau international, le réseau The Wealth Tax Foundation propose l’instauration d’un impôt progressif sur la fortune à l’échelle mondiale. Une telle taxe, appliquée à un taux de 1% sur les fortunes de plus de 1 milliard de dollars, pourrait rapporter jusqu’à 50 milliards de dollars par an. Ces fonds pourraient être utilisés pour financer des initiatives globales comme la lutte contre le changement climatique ou les pandémies.

Cependant, pour que ces mesures soient efficaces, il est essentiel de renforcer la coopération internationale en matière fiscale. La transparence financière, l’échange automatique d’informations entre les administrations fiscales et la lutte contre les paradis fiscaux sont des éléments clés. En 2020, plus de 100 pays ont échangé automatiquement des informations sur 84 millions de comptes financiers, représentant des actifs de près de 10 000 milliards d’euros, selon l’OCDE.

En France, le débat sur la taxation des riches est relancé avec des propositions de rétablissement de l’ISF sous une forme rénovée. Une commission parlementaire travaille sur des pistes pour mieux taxer les actifs financiers et immobiliers des ménages les plus aisés, tout en évitant les écueils du passé. L’objectif est de créer une fiscalité plus juste sans nuire à l’attractivité économique du pays.