Obligations perpétuelles : comment évaluer ces instruments hybrides à haut rendement ?

Découvrez comment évaluer et intégrer les obligations perpétuelles dans vos portefeuilles : structure, risques, critères de sélection et positionnement patrimonial.

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Obligations perpétuelles : comment évaluer ces instruments hybrides à haut rendement ?

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Les obligations perpétuelles s’invitent progressivement dans les conversations patrimoniales. Ces instruments hybrides, à mi-chemin entre l’action et l’obligation classique, séduisent par leurs rendements attractifs dans un environnement de taux normalisés. Pourtant, leur complexité intrinsèque et leurs risques spécifiques exigent une compréhension fine avant toute recommandation client. Pour le CGP soucieux de diversifier l’allocation obligataire de ses portefeuilles, maîtriser l’évaluation des perpétuelles devient un marqueur de compétence différenciant.

Anatomie d’un instrument hybride : comprendre la structure des obligations perpétuelles

Les obligations perpétuelles, ou perpetual bonds, n’ont pas de date d’échéance prédéterminée. L’émetteur verse un coupon régulier sans obligation de rembourser le capital, sauf décision volontaire de call à certaines dates prévues contractuellement.

Cette absence de maturité rapproche structurellement la perpétuelle d’une action à dividende fixe. Mais contrairement aux dividendes, le coupon reste une charge financière obligatoire, ce qui préserve certaines caractéristiques obligataires.

Les trois composantes fondamentales

La structure type d’une perpétuelle comporte trois éléments clés :

  • Le coupon fixe ou variable : généralement attractif, il compense l’absence de remboursement. Les coupons fixes dominent sur le segment corporate, tandis que les émissions bancaires privilégient les coupons variables indexés sur l’Euribor ou le Sofr.

  • La clause de call : l’émetteur peut racheter l’obligation à partir d’une date déterminée, souvent après cinq ou dix ans. Cette option confère une asymétrie : l’investisseur subit le risque de remboursement anticipé lorsque les taux baissent, mais reste exposé si les taux montent.

  • Le rang de subordination : la plupart des perpétuelles se situent au niveau Tier 2 ou Additional Tier 1 (AT1) dans la hiérarchie des créances bancaires, après la dette senior mais avant les actions. En cas de défaillance, le remboursement intervient donc tardivement.

La perpétuelle est une créance éternelle à coupon obligatoire, mais dont le remboursement dépend du bon vouloir de l’émetteur.

Différences avec les obligations classiques

Critère Obligation classique Obligation perpétuelle
Maturité Fixe (3 à 30 ans) Indéterminée
Remboursement Garanti à échéance Optionnel (call)
Sensibilité aux taux Modérée Très élevée
Rang de créance Senior ou subordonné Subordonné (Tier 2/AT1)
Rendement typique 2–4 % 4–7 %

Exemple concret : En septembre, la banque française Société Générale a émis une perpétuelle AT1 à coupon 6,75 %, callable après cinq ans. Comparé à une obligation senior classique à dix ans de la même institution rémunérée à 3,8 %, l’écart de rendement de près de 300 points de base reflète la prime de risque exigée.

Conseil opérationnel : Avant toute recommandation, vérifiez systématiquement dans le prospectus la date de premier call et les conditions de déclenchement. Cette information conditionne l’horizon d’investissement réaliste.


Positionnement patrimonial : quand et pour qui intégrer des perpétuelles

L’allocation des perpétuelles dans un portefeuille patrimonial ne relève pas d’une logique binaire d’inclusion ou d’exclusion. Elle dépend du profil de risque, de l’horizon temporel et de la recherche de rendement du client.

Profils investisseurs compatibles

Les perpétuelles conviennent principalement à trois typologies :

  1. Investisseurs avertis cherchant un rendement supérieur aux obligations classiques, disposant d’une capacité d’analyse des risques complexes.

  2. Portefeuilles institutionnels ou family offices pouvant absorber une volatilité accrue et intégrant une vision long terme.

  3. Allocations satellites dans une logique de diversification obligataire complémentaire, avec une pondération limitée (5 à 10 % de la poche obligataire).

Les profils défensifs ou court-termistes doivent systématiquement être écartés, la volatilité potentielle dépassant souvent celle des obligations investment grade classiques.

Positionnement dans l’allocation globale

Dans une architecture patrimoniale équilibrée, les perpétuelles se positionnent idéalement comme instrument de diversification au sein de la poche obligataire, pas comme composante centrale.

Question fréquente : Les perpétuelles remplacent-elles les actions à dividendes dans un portefeuille ?

Non. Malgré des similitudes (flux perpétuels, absence de remboursement), les perpétuelles restent des instruments de crédit dont le comportement diffère fondamentalement des actions. Leur corrélation avec les obligations reste plus élevée qu’avec les actions, notamment en période de stress.

Avantages patrimoniaux distinctifs

  • Rendement bonifié : le portage supérieur améliore la performance annualisée sur longue période.

  • Fiscalité obligataire : en France, les coupons bénéficient du prélèvement forfaitaire unique à 30 %, identique aux obligations classiques.

  • Diversification émetteurs : accès à des corporates ou institutions financières parfois absents du segment classique.

Le marché européen des perpétuelles représente désormais plus de 280 milliards d’euros d’encours, dominé à 65 % par les émissions bancaires. Les émetteurs corporates (télécoms, utilities, énergie) constituent le solde, offrant une diversification sectorielle intéressante.

Exemple de terrain : Un client fortuné de 58 ans, avec un patrimoine de 3 millions d’euros et une poche obligataire de 900 000 euros, pourrait allouer 60 000 à 90 000 euros (7 à 10 %) en perpétuelles corporate investment grade, améliorant le rendement global de la poche de 30 à 50 points de base annuels.

Conseil pratique : Documentez systématiquement dans le compte-rendu client la justification patrimoniale de l’allocation (recherche de rendement, horizon long terme) et la proportion maximale recommandée. Cette traçabilité protège en cas de contentieux.


Grille d’évaluation : critères techniques pour sélectionner une perpétuelle

L’évaluation d’une obligation perpétuelle exige une méthodologie rigoureuse, intégrant analyse crédit, analyse structurelle et analyse de valorisation.

Analyse crédit : le socle fondamental

La qualité de l’émetteur conditionne le risque de défaut et de non-call. Privilégiez systématiquement :

  • Notation investment grade (BBB- minimum) : les perpétuelles high yield (BB+ et inférieur) présentent un risque de perte en capital excessif pour la plupart des patrimoines privés.

  • Émetteurs systémiques ou régulés : les banques européennes systémiques (G-SIB) ou les utilities régulées offrent une visibilité supérieure sur la capacité de service de la dette.

  • Ratios financiers solides : pour les banques, surveillez le ratio CET1 (Common Equity Tier 1) supérieur à 13 %, pour les corporates le ratio dette nette/EBITDA inférieur à 3x.

Question pratique : Faut-il privilégier les perpétuelles bancaires ou corporate ?

Les perpétuelles bancaires AT1 offrent généralement des rendements supérieurs (50 à 100 points de base) mais comportent des clauses de contingence (conversion en actions ou dépréciation du principal) en cas de difficultés. Les corporate perpétuelles, structurellement plus simples, conviennent mieux aux investisseurs patrimoniaux cherchant la prévisibilité.

Analyse structurelle : décrypter les clauses critiques

Trois clauses requièrent une attention particulière :

  1. Date et fréquence des calls : une première date de call à cinq ans avec fenêtres annuelles ultérieures constitue le standard. Méfiez-vous des perpétuelles sans call avant dix ans, la duration effective devient difficilement maîtrisable.

  2. Step-up de coupon : certaines perpétuelles prévoient une augmentation du coupon si l’émetteur ne call pas à la première date. Ce step-up (typiquement +100 points de base) incite au remboursement mais renforce l’asymétrie du risque de taux.

  3. Clauses de perte absorbante : pour les AT1 bancaires, identifiez le trigger level (niveau de CET1 déclenchant la conversion ou dépréciation), généralement fixé à 5,125 % ou 7 %.

Analyse de valorisation : identifier les opportunités

Le rendement jusqu’au premier call (yield-to-call) constitue l’indicateur central pour comparer les perpétuelles entre elles.

Méthodologie de calcul :

  1. Identifiez la date du premier call (généralement 5 ans après émission).
  2. Calculez le rendement actuariel supposant un remboursement à cette date au pair (100).
  3. Comparez ce yield-to-call au rendement d’une obligation senior de même maturité et même émetteur.

L’écart (spread perpétuel) doit compenser les risques additionnels : subordination, absence de garantie de remboursement, complexité. Un spread minimum de 150 points de base paraît cohérent pour une perpétuelle corporate investment grade, 200 à 300 points pour une AT1 bancaire.

Type de perpétuelle Spread typique vs senior Rendement moyen (déc. 2024)
Corporate IG Tier 2 150–200 pb 4,5–5,5 %
Banque IG Tier 2 180–250 pb 5,0–6,0 %
Banque IG AT1 250–400 pb 6,0–7,5 %

Exemple d’analyse : La perpétuelle Orange SA 2,625 % (ISIN : FR0013341682), émise en janvier 2020 et callable depuis janvier 2025, se négocie actuellement autour de 96, offrant un yield-to-maturity de 5,1 %. Comparé au rendement d’une obligation senior Orange à dix ans (3,4 %), le spread de 170 points de base rémunère correctement le risque de subordination pour un émetteur investment grade solide (BBB+/Baa1).

Conseil actionnable : Construisez une matrice de scoring standardisée pour chaque perpétuelle analysée, intégrant notation (40 %), spread vs senior (30 %), qualité des clauses (20 %), liquidité secondaire (10 %). Refusez systématiquement toute perpétuelle totalisant moins de 60/100.


Risques spécifiques et stratégies d’atténuation pour CGP

Les perpétuelles concentrent plusieurs risques distinctifs nécessitant une gestion active et une communication client transparente.

Le risque de non-call : quand l’émetteur ne rembourse pas

Contrairement à l’idée reçue, l’émetteur n’est jamais obligé d’exercer son call. Si les conditions de refinancement se dégradent (hausse des taux, dégradation de notation), il peut rationnellement maintenir la perpétuelle en circulation.

Conséquence patrimoniale : l’investisseur reste exposé indéfiniment, subissant une valorisation déprimée si les taux de marché ont monté entre-temps.

Illustration récente : Plusieurs perpétuelles bancaires AT1 émises en 2019-2020 avec des coupons de 4–5 % n’ont pas été callées en 2024-2025, les émetteurs préférant conserver ce financement bon marché plutôt que de se refinancer à 6–7 %. Les investisseurs ont vu ces titres coter 85–90, subissant une moins-value latente significative.

Stratégie d’atténuation :

  • Privilégiez les émetteurs ayant un historique de call systématique sur leurs émissions précédentes.

  • Diversifiez entre plusieurs perpétuelles avec des dates de call échelonnées.

  • Intégrez un scénario conservateur de non-call systématique dans vos projections de performance client.

Le risque de taux amplifié

Les perpétuelles présentent une duration effective très élevée, souvent équivalente à une obligation classique de 15 à 25 ans. Une hausse de 100 points de base des taux peut générer une baisse de cours de 15 à 20 %.

Cette sensibilité extrême rend les perpétuelles inadaptées aux phases de remontée des taux, sauf stratégie de portage pur avec horizon très long terme.

Conseil de gestion : Utilisez les perpétuelles en complément tactique lors de phases d’aplatissement ou de baisse de la courbe des taux, pas comme exposition obligataire structurelle permanente.

Le risque de liquidité secondaire

Le marché secondaire des perpétuelles reste étroit. Les fourchettes bid-ask peuvent atteindre 1 à 2 points en période normale, 3 à 5 points en stress.

Cette illiquidité pénalise doublement :

  • Coût de sortie élevé si besoin de liquidité anticipé.

  • Volatilité de valorisation accrue, même sans changement fondamental de crédit.

Question fréquente : Comment gérer la liquidité dans une allocation perpétuelle ?

Limitez l’exposition aux perpétuelles à un montant que le client peut conserver jusqu’au call sans contrainte de liquidité. Privilégiez les émissions de taille significative (500 millions d’euros minimum) et les émetteurs fréquents, garantissant une liquidité secondaire correcte.

Le risque réglementaire spécifique aux AT1

Les perpétuelles AT1 bancaires comportent un risque unique : la perte totale ou partielle du capital en cas d’intervention réglementaire. Le précédent Credit Suisse en mars 2023 a rappelé cette réalité : les détenteurs d’AT1 ont perdu 100 % de leur investissement (17 milliards de francs suisses) lors du sauvetage par UBS, alors même que les actionnaires recevaient une compensation.

Conséquence pratique : Les AT1 ne conviennent qu’aux investisseurs explicitement informés de ce risque de perte totale et disposant d’une capacité financière adéquate. Le profil de risque se rapproche davantage d’une action que d’une obligation traditionnelle.

Checklist de gestion des risques

Avant toute allocation en perpétuelles, vérifiez :

  • [ ] Le client a signé un questionnaire d’adéquation spécifique aux instruments complexes.

  • [ ] La pondération n’excède pas 10 % de la poche obligataire (5 % maximum pour les AT1).

  • [ ] L’horizon d’investissement dépasse la date du premier call de chaque titre.

  • [ ] Une diversification sur minimum trois émetteurs est respectée.

  • [ ] Le compte-rendu client documente les risques de non-call, de taux et de perte en capital.

Action immédiate : Rédigez une fiche synthétique d’une page standardisée pour chaque perpétuelle recommandée, détaillant caractéristiques, risques et scénarios de performance. Remettez-la systématiquement au client avant souscription, c’est votre meilleure protection déontologique.


Construire une expertise différenciante sur les instruments hybrides

Les obligations perpétuelles représentent bien plus qu’un simple produit obligataire exotique. Elles constituent un marqueur de compétence technique pour le CGP soucieux de différenciation.

Leur maîtrise ouvre trois avantages compétitifs concrets :

Positionnement premium : Peu de conseillers maîtrisent ces instruments. Démontrer cette expertise renforce la perception de compétence avancée auprès d’une clientèle fortunée.

Optimisation du couple rendement-risque : Utilisées judicieusement, les perpétuelles améliorent tangiblement la performance obligataire dans un environnement de taux normalisés, sans basculer vers le high yield traditionnel.

Diversification qualitative : L’accès à des émetteurs et structures originales enrichit la palette d’allocation au-delà des ETF obligataires standardisés.

Construction d’une veille structurée

Pour développer une expertise reconnue :

  1. Surveillez le calendrier d’émissions : les banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole) et les corporates (Orange, Engie, TotalEnergies) émettent régulièrement. Identifiez les fenêtres d’opportunités sur le marché primaire.

  2. Analysez les non-calls : chaque perpétuelle non callée à sa date prévue constitue un cas d’école. Décryptez les raisons (coût du refinancement, stratégie de bilan) pour affiner votre grille de lecture.

  3. Comparez les spreads : construisez un tableau de suivi mensuel des spreads perpétuels vs senior pour vos émetteurs de référence. Les élargissements inhabituels signalent des opportunités d’achat ou des signaux d’alerte.

Argumentation client différenciante

Au-delà de la simple présentation du produit, articulez votre recommandation autour de trois axes :

L’asymétrie maîtrisée : « Cette perpétuelle Engie offre un rendement de 5,3 % avec un premier call dans quatre ans. Si Engie call comme attendu, vous captez ce rendement bonifié. Si elle ne call pas, le coupon reste acquis et le rendement sur longue durée demeure attractif. »

La prime d’illiquidité rationnelle : « Accepter de bloquer 80 000 euros pendant cinq à sept ans vous permet de capter une prime de 180 points de base par rapport à une obligation classique. C’est la rémunération de votre patience et de votre vision long terme. »

La diversification intelligente : « Cette allocation de 8 % en perpétuelles diversifie votre poche obligataire vers des structures décorrélées, améliorant le profil de risque global sans augmenter la part actions. »

Mini-FAQ complémentaire

Les perpétuelles sont-elles éligibles à l’assurance-vie ?

Oui, la plupart des contrats haut de gamme proposent l’accès aux perpétuelles investment grade via leurs supports en unités de compte obligataires ou leurs mandats de gestion dédiés. Vérifiez la disponibilité spécifique auprès de chaque assureur.

Quelle fiscalité en cas de plus-value ?

Les plus-values de cession suivent le régime des obligations classiques : prélèvement forfaitaire unique à 30 % ou option pour le barème progressif. En assurance-vie, la fiscalité du contrat s’applique normalement.

Peut-on vendre une perpétuelle avant le call ?

Oui, le marché secondaire permet une cession anticipée, mais avec un risque de décote significatif selon l’évolution des taux et la liquidité du titre. Privilégiez une détention jusqu’au call pour maximiser la performance.

Les obligations perpétuelles ne constituent pas une solution universelle, mais un outil patrimonial spécialisé pour clients avertis. Leur intégration réfléchie, documentée et proportionnée renforce la valeur ajoutée du conseil tout en améliorant tangiblement le rendement obligataire. Le CGP maîtrisant ces instruments dispose d’un avantage concurrentiel durable face à la concurrence digitale standardisée.