Hydrogène vert : comment identifier les opportunités d’investissement vraiment rentables ?

Découvrez l’hydrogène vert comme opportunité d’investissement : analyse de la chaîne de valeur, acteurs clés et stratégies pour conseillers patrimoniaux.

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Hydrogène vert : comment identifier les opportunités d'investissement vraiment rentables ?

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L’hydrogène vert s’impose progressivement comme un pilier de la transition énergétique européenne. Les investissements publics et privés se multiplient, portés par les ambitions climatiques et les plans de soutien massifs. Pour les conseillers en gestion de patrimoine, cette filière représente une opportunité d’investissement thématique porteuse, mais exigeant une compréhension fine de ses différents maillons. Entre promesses technologiques et incertitudes sur la rentabilité, une analyse sectorielle rigoureuse devient indispensable pour éclairer vos clients sur les acteurs réellement différenciants de cette chaîne de valeur complexe.

L’hydrogène vert, du concept stratégique à la réalité industrielle

L’hydrogène vert désigne l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau, alimentée exclusivement par des énergies renouvelables. Cette définition le distingue radicalement de l’hydrogène gris (issu de combustibles fossiles) qui représente encore 96 % de la production mondiale.

La Commission européenne a fixé un objectif ambitieux : installer 40 GW d’électrolyseurs sur le territoire européen d’ici 2030, complétés par 40 GW supplémentaires dans les pays voisins pour l’importation. Cet objectif s’inscrit dans le plan REPowerEU, qui vise à produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable par an d’ici la fin de la décennie.

Les fondamentaux économiques de la filière

Le principal défi de l’hydrogène vert reste son coût de production, actuellement compris entre 4 et 6 €/kg, contre 1,5 à 2,5 €/kg pour l’hydrogène gris. Cette différence s’explique par trois facteurs majeurs :

  • Le coût d’investissement des électrolyseurs (entre 800 et 1 500 €/kW installé)
  • Le prix de l’électricité renouvelable (représentant 60 à 70 % du coût total)
  • Les rendements énergétiques actuels (autour de 65 à 70 %)

Toutefois, les projections de l’Agence internationale de l’énergie indiquent une convergence des prix vers 2,5 à 3 €/kg d’ici 2030, grâce aux économies d’échelle et aux progrès technologiques.

L’hydrogène vert ne deviendra massivement compétitif que lorsque le coût de l’électricité renouvelable descendra durablement sous 20 €/MWh, combiné à une baisse de 50 % du coût des électrolyseurs.

Conseil pratique : Pour vos clients intéressés par cette thématique, privilégiez une approche diversifiée sur l’ensemble de la chaîne de valeur plutôt qu’une exposition concentrée sur un seul maillon. Les paris technologiques purs comportent des risques importants de disruption.


Cartographie stratégique de la chaîne de valeur hydrogène

La filière hydrogène se structure autour de cinq maillons distincts, chacun présentant des profils risque-rendement différenciés.

Production : les électrolyseurs au cœur du dispositif

Les fabricants d’électrolyseurs constituent le segment le plus visible et médiatisé. Trois technologies dominent actuellement :

Technologie Maturité Coût capex Rendement Acteurs majeurs
Alcaline Commerciale Modéré 60-70% Nel ASA, Thyssenkrupp
PEM Pré-commerciale Élevé 65-75% ITM Power, Plug Power
SOEC R&D avancée Très élevé 80-85% Sunfire, Bloom Energy

La technologie alcaline offre un avantage coût immédiat, tandis que les électrolyseurs PEM (Proton Exchange Membrane) permettent une meilleure flexibilité opérationnelle, essentielle pour valoriser l’intermittence des renouvelables.

Le norvégien Nel ASA, leader historique, affiche un carnet de commandes dépassant 2 milliards de dollars mais reste déficitaire. Le britannique ITM Power, malgré son expertise PEM reconnue, peine également à atteindre la rentabilité opérationnelle. Ces profils illustrent le décalage entre potentiel industriel et performance financière à court terme.

Transport et stockage : l’infrastructure critique

L’hydrogène nécessite des infrastructures spécifiques en raison de ses propriétés physiques (molécule très légère, corrosive pour certains matériaux). Trois modes de transport coexistent :

  1. Gazoducs dédiés : solution optimale pour volumes importants et distances moyennes (200-1000 km)
  2. Transport liquéfié : nécessite une température de -253°C, consomme 30 % de l’énergie contenue
  3. Vecteurs chimiques (ammoniac, LOHC) : facilitent le transport longue distance mais ajoutent une étape de conversion

L’Europe mise massivement sur l’adaptation des gazoducs existants. Le projet European Hydrogen Backbone prévoit un réseau de 53 000 km d’ici 2040, dont 60 % issus de la conversion de gazoducs de gaz naturel. Les gestionnaires d’infrastructures gazières traditionnels (Enagás en Espagne, Snam en Italie, GRTgaz en France) se positionnent stratégiquement sur ce segment.

Ces acteurs présentent un profil défensif intéressant : infrastructures régulées, revenus récurrents, transition progressive vers l’hydrogène sans rupture brutale du modèle économique.

Applications industrielles : les débouchés prioritaires

Contrairement aux discours enthousiastes sur la mobilité hydrogène, les usages industriels constitueront l’essentiel de la demande à moyen terme :

  • Raffinage pétrolier : 40 % de la demande actuelle d’hydrogène
  • Production d’ammoniac pour engrais : 35 %
  • Sidérurgie décarbonée : potentiel de croissance majeur

Le projet H2 Green Steel en Suède illustre cette dynamique. Cette aciérie, dont la production démarrera en 2025, consommera 800 000 tonnes d’hydrogène vert annuellement pour produire 5 millions de tonnes d’acier sans émissions. Financé à hauteur de 4,5 milliards d’euros, le projet compte parmi ses clients BMW, Mercedes et Scania.

Question fréquente : L’hydrogène vert pour la mobilité légère est-il un mythe ?

En pratique, oui pour les véhicules particuliers. Les batteries électriques offrent un rendement énergétique global supérieur (70-80 % contre 25-35 % pour l’hydrogène). La mobilité hydrogène se concentrera sur les segments où les batteries montrent leurs limites : poids lourds, transport maritime, aviation longue distance.

Conseil pratique : Orientez vos clients vers des sociétés exposées aux usages industriels intensifs plutôt que sur les paris spéculatifs de la mobilité légère. Air Liquide, leader mondial des gaz industriels, dispose d’un positionnement équilibré sur toute la chaîne de valeur avec une rentabilité démontrée.


Les leviers publics : décryptage des dispositifs de soutien

L’hydrogène vert nécessite un soutien public massif pour combler l’écart de compétitivité. L’Europe a déployé plusieurs mécanismes dont la compréhension affine votre analyse des opportunités d’investissement.

Le plan hydrogène européen : architecture et montants

La stratégie européenne mobilise plus de 470 milliards d’euros d’investissements cumulés public-privé d’ici 2030. Cette enveloppe se décompose ainsi :

  • IPCEI Hydrogène (Important Project of Common European Interest) : 5,4 milliards d’investissements publics pour 41 projets dans 13 pays, destinés à déclencher 88 milliards d’investissements totaux
  • Innovation Fund : 3 milliards dédiés aux technologies hydrogène
  • Connecting Europe Facility : 1,5 milliard pour les infrastructures transfrontalières
  • Subventions nationales complémentaires variables selon les États membres

L’Allemagne se distingue avec une enveloppe nationale de 9 milliards d’euros, la France avec 7,2 milliards via France 2030, l’Espagne avec 1,55 milliard.

Les mécanismes de soutien aux investisseurs

Plusieurs dispositifs réduisent le risque pour les investisseurs privés :

Les CCfD (Carbon Contracts for Difference) garantissent aux producteurs un prix minimum de la tonne de CO₂, sécurisant la rentabilité des projets d’hydrogène vert. L’Allemie a lancé le premier programme avec 4 milliards dédiés.

La Banque européenne de l’hydrogène, opérationnelle depuis novembre 2023, propose des enchères régulières pour subventionner la différence de coût entre hydrogène vert et hydrogène gris. La première enchère a attribué 720 millions d’euros à sept projets, avec une subvention moyenne de 0,48 €/kg.

Question fréquente : Ces soutiens publics ne créent-ils pas des bulles d’investissement ?

Le risque existe effectivement. L’histoire des panneaux solaires dans les années 2008-2012 a montré comment des subventions généreuses peuvent attirer des surinvestissements suivis d’une consolidation brutale. La clé réside dans la sélectivité : privilégiez les acteurs disposant d’avantages compétitifs structurels (intégration verticale, accès à l’électricité bas coût, positionnement géographique) plutôt que ceux dépendant exclusivement des subventions.

Réglementation et normes : les contraintes structurantes

La directive RED III (Renewable Energy Directive) définit précisément les critères d’additionnalité pour qualifier un hydrogène de renouvelable. Ces règles, finalisées en février 2023, imposent notamment :

  • Corrélation temporelle stricte entre production d’électricité renouvelable et électrolyse (même heure ou moyenne mensuelle selon configurations)
  • Corrélation géographique (même zone de dépôt ou zones connectées)
  • Critères d’additionnalité pour garantir que la production renouvelable est bien nouvelle

Ces contraintes réglementaires favorisent les projets intégrés associant production renouvelable dédiée et électrolyse sur site, pénalisant les modèles reposant uniquement sur l’achat de garanties d’origine.

Conseil pratique : Dans votre analyse des projets hydrogène, vérifiez systématiquement la structure d’approvisionnement électrique. Les projets adossés à des contrats PPA (Power Purchase Agreement) avec des parcs éoliens ou solaires dédiés présentent un profil réglementaire et économique nettement plus robuste.


Sélection des acteurs : grille d’analyse pour CGP avisés

Face à la multiplication des annonces et des acteurs pure players souvent déficitaires, une méthodologie rigoureuse s’impose pour identifier les investissements pertinents.

Les géants industriels : exposition équilibrée et rentabilité

Les groupes gaziers et chimiques historiques offrent une exposition diversifiée avec des fondamentaux solides :

Air Liquide (France) cumule plusieurs avantages distinctifs. Leader mondial des gaz industriels avec 150 sites de production d’hydrogène déjà opérationnels (majoritairement gris actuellement), le groupe dispose d’un savoir-faire industriel éprouvé, d’une base clients captifs et d’une capacité d’investissement de 8 milliards d’euros dédiés à l’hydrogène bas-carbone d’ici 2035. Sa rentabilité opérationnelle (marge d’EBITDA autour de 30 %) sécurise les dividendes pendant la phase de transition.

Linde (Irlande/Royaume-Uni), concurrent direct, présente un profil similaire avec une exposition accrue sur le marché américain via l’Inflation Reduction Act.

Ces acteurs permettent une exposition thématique hydrogène sans sacrifier la rentabilité immédiate, contrairement aux pure players technologiques.

Les énergéticiens en transition : capacité de déploiement massif

Les grands groupes énergétiques européens intègrent l’hydrogène vert dans leur stratégie de décarbonation :

  • Iberdrola (Espagne) développe 1,8 GW de capacité d’électrolyse d’ici 2027
  • Ørsted (Danemark) investit massivement dans les projets offshore-to-hydrogen
  • Engie (France) cible 4 GW d’électrolyseurs d’ici 2030

Ces acteurs bénéficient d’un accès privilégié aux ressources renouvelables (éolien offshore notamment) et d’une capacité de financement importante. Leur valorisation intègre toutefois déjà partiellement ces ambitions hydrogène.

Les pure players technologiques : volatilité maximale

Les fabricants d’électrolyseurs spécialisés affichent des performances boursières très volatiles :

Société Pays Capitalisation CA 2024 EBITDA Carnet commandes
Nel ASA Norvège 1,2 Md€ 180 M€ -15 M€ 2 Md€
ITM Power UK 400 M€ 45 M€ -50 M€ 800 M€
Plug Power USA 2,5 Md€ 900 M€ -350 M€ 3 Md€

Ces sociétés parient sur une industrialisation rapide de leur production pour atteindre la rentabilité. Nel ASA vise ainsi un coût de production sous 400 €/kW d’ici 2027 via son usine automatisée de Herøya (Norvège), contre 800-1000 €/kW actuellement.

Question fréquente : Faut-il absolument investir dans les pure players pour capter le potentiel de croissance ?

Non, et c’est même risqué. L’histoire des technologies émergentes montre que les leaders initiaux sont rarement les gagnants finaux. Dans les panneaux solaires, les pionniers européens (Q-Cells, Solarworld) ont été balayés par les acteurs chinois low-cost. Dans l’hydrogène, les équipementiers industriels diversifiés (Siemens Energy, Thyssenkrupp) peuvent rapidement rattraper leur retard technologique grâce à leur capacité d’investissement R&D supérieure.

Construction d’une exposition hydrogène équilibrée

Pour un client souhaitant s’exposer à la thématique hydrogène sans prise de risque excessive, privilégiez une allocation pyramidale :

  1. Base (60 %) : acteurs diversifiés rentables – Air Liquide, Linde, énergéticiens intégrés
  2. Cœur (30 %) : équipementiers industriels – Siemens Energy, Chart Industries (stockage cryogénique)
  3. Satellite (10 %) : pure players technologiques – Nel ASA ou équivalent, avec acceptation de la volatilité

Cette structure combine exposition thématique et maîtrise du risque, tout en offrant un discours différenciant face à vos clients : vous démontrez une compréhension fine de la chaîne de valeur au-delà des effets d’annonce médiatiques.

Conseil pratique : Documentez systématiquement votre analyse avec les derniers rapports de l’Agence internationale de l’énergie (World Energy Outlook) et de Hydrogen Europe. Ces références institutionnelles renforcent votre crédibilité et permettent de contextualiser vos recommandations dans une vision macroéconomique cohérente.


L’hydrogène vert, pari de conviction sur le temps long

L’hydrogène vert représente indéniablement un vecteur de décarbonation incontournable pour les industries lourdes et certains segments de transport. Les investissements publics massifs créent une dynamique favorable, mais la rentabilité économique sans soutien reste à démontrer.

Pour les conseillers en gestion de patrimoine, cette thématique offre un discours de valeur ajoutée face à des clients sensibles aux enjeux de transition énergétique. Elle nécessite toutefois une approche nuancée, loin de l’enthousiasme naïf ou du scepticisme systématique.

Les enseignements clés à retenir :

  • La convergence des coûts entre hydrogène vert et gris interviendra progressivement entre 2028 et 2032, avec d’importantes disparités géographiques
  • Les usages industriels (acier, chimie, raffinage) constituent les débouchés prioritaires, bien avant la mobilité
  • Les acteurs intégrés maîtrisant plusieurs maillons de la chaîne de valeur présentent les profils risque-rendement les plus attractifs
  • La réglementation européenne stricte favorise les projets d’intégration verticale renouvelables-électrolyse

L’horizon d’investissement minimum pour cette thématique se situe entre 5 et 10 ans. La volatilité restera importante à court terme, amplifiée par les cycles médiatiques et les déceptions potentielles sur les calendriers de déploiement.

Positionnement différenciant pour vos clients : plutôt que de présenter l’hydrogène vert comme « l’énergie du futur » de façon générique, adoptez un angle analytique centré sur la chaîne de valeur. Expliquez pourquoi le segment du stockage et transport présente un profil défensif intéressant, pourquoi les sidérurgistes deviennent des clients structurels, pourquoi les pure players technologiques restent spéculatifs.

Cette granularité d’analyse vous distinguera immédiatement des discours standardisés et renforcera votre image d’expert capable de décrypter les mégatendances sectorielles avec lucidité et pédagogie.


FAQ Hydrogène vert : réponses synthétiques

Quelle différence entre hydrogène bleu et hydrogène vert ?

L’hydrogène bleu provient du reformage de gaz naturel avec capture et stockage du CO₂ (environ 3,5 kg de CO₂ capturés par kg d’H₂). L’hydrogène vert est produit par électrolyse alimentée exclusivement par des renouvelables, sans émissions. Le bleu offre un coût intermédiaire (2,5-3,5 €/kg) et constitue une solution de transition selon certains industriels, bien que controversée par les écologistes.

L’investissement dans l’hydrogène vert est-il éligible aux dispositifs de défiscalisation ?

En France, les investissements en fonds ou sociétés hydrogène peuvent être éligibles au PEA-PME si les sociétés respectent les critères de taille. Certains contrats d’assurance-vie proposent désormais des unités de compte thématiques hydrogène. Les FCPI/FIP investissant dans des start-ups hydrogène ouvrent droit à la réduction d’impôt classique, mais avec un risque de perte en capital élevé.

Quel horizon de temps pour la rentabilité généralisée de l’hydrogène vert ?

Les projections convergentes situent la compétitivité-coût entre 2028 et 2032, avec des écarts géographiques majeurs. Les régions disposant d’électricité renouvelable abondante et bon marché (Péninsule ibérique, mer du Nord, Moyen-Orient) atteindront la rentabilité plus rapidement. Les applications industrielles intensives deviendront rentables avant la mobilité.