L’impôt sur la fortune improductive menace-t-il votre stratégie patrimoniale ?

Réforme fiscale : l’IFI devient impôt sur la fortune improductive et taxe désormais les fonds euros, cryptomonnaies et objets de luxe dès 2026.

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L'impôt sur la fortune improductive menace-t-il votre stratégie patrimoniale ?

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L’Assemblée nationale a franchi, le 31 octobre 2025, une étape symbolique et technique majeure : la transformation de l’impôt sur la fortune immobilière en un « impôt sur la fortune improductive ». Cette réforme élargit significativement l’assiette fiscale au-delà du seul immobilier pour cibler les actifs jugés économiquement passifs : cryptomonnaies, objets précieux, yachts, mais surtout les fonds en euros des contrats d’assurance-vie. Pour les conseillers en gestion de patrimoine, cette évolution marque un tournant stratégique dans l’architecture patrimoniale de leurs clients fortunés. Le texte n’est pas encore définitif, mais ses implications redistribuent déjà les cartes entre optimisation fiscale, allocation d’actifs et légitimité économique du patrimoine.

Un élargissement de l’assiette fiscale bien au-delà de l’immobilier

Le nouvel impôt conserve le seuil d’entrée historique de 1,3 million d’euros de patrimoine net, mais redéfinit radicalement ce qui est taxable. Là où l’IFI se concentrait exclusivement sur la pierre, le nouveau dispositif intègre désormais :

  • Les objets précieux : bijoux, or physique, pièces de collection
  • Les œuvres d’art
  • Les biens de luxe : voitures de collection, yachts, jets privés
  • Les actifs numériques : cryptomonnaies (Bitcoin, Ethereum, stablecoins)
  • Et surtout, les fonds en euros des contrats d’assurance-vie, ainsi que certains placements monétaires ou obligataires jugés « non investis dans l’économie réelle »

Cette extension traduit une volonté politique claire : fiscaliser la rente passive tout en épargnant, théoriquement, les actifs productifs. Le barème change également : exit la progressivité de 0,5 à 1,5 %, place à un taux unique de 1 % appliqué sur la fraction de patrimoine excédant le seuil, après un abattement forfaitaire de 1 million d’euros sur la résidence principale (contre 30 % auparavant).

« Cette réforme marque le retour partiel à la philosophie de l’ISF : taxer ce qui dort, épargner ce qui finance. »

L’assurance-vie dans le viseur : un débat économique autant que fiscal

L’inclusion des fonds en euros dans l’assiette constitue la mesure la plus explosive du texte. Avec un encours de 2 084 milliards d’euros fin août 2025 (en hausse de 5,1 % sur un an), les fonds euros représentent le refuge préféré de l’épargne française. Le gouvernement estime qu’une part substantielle de ces sommes est « improductive », car investie prioritairement en obligations d’État ou en actifs monétaires à faible impact sur le financement des entreprises.

Les assureurs ripostent avec des chiffres précis : 63 % des encours de l’assurance-vie financent directement les entreprises françaises et l’État. Selon la Fédération Française de l’Assurance, cette épargne irrigue l’économie réelle via les emprunts d’État, les obligations corporate, et les infrastructures de long terme. Qualifier ces placements d’improductifs relève, pour le secteur, d’une méconnaissance structurelle du rôle de transformation de l’épargne par les assureurs.

Pour les CGP, ce débat technique cache un enjeu stratégique : l’arbitrage entre sécurité et fiscalité. Si les fonds euros deviennent fiscalement pénalisants, faut-il orienter les clients vers les unités de compte (UC) ? Mais avec quelle volatilité assumée, dans un contexte où la protection du capital reste une demande cardinale de la clientèle patrimoniale ?


Les actifs désormais taxables dans le nouvel impôt

  • Biens immobiliers (inchangé, >1,3M€)
  • Fonds en euros d’assurance-vie
  • Cryptomonnaies et actifs numériques
  • Objets de collection et œuvres d’art
  • Véhicules de luxe : yachts, jets, voitures de collection
  • Or physique, bijoux, pièces précieuses

Une fiscalité politique à double tranchant

Le rendement budgétaire attendu divise profondément. Le gouvernement table sur 500 millions d’euros de recettes annuelles, quand les socialistes, porteurs de l’amendement initial, évoquent jusqu’à 4 milliards. Cet écart révèle une incertitude assumée : combien de contribuables seront réellement concernés ? Et surtout, combien adapteront leur stratégie patrimoniale pour échapper à la taxe ?

Car la sophistication patrimoniale joue ici à plein. Les ultra-riches, dotés de holdings, de structures offshore, de pactes Dutreil ou de démembrements complexes, disposent d’une palette d’outils pour diluer l’assiette taxable. À l’inverse, les « petits millionnaires » — souvent propriétaires d’une résidence principale valorisée et d’un contrat d’assurance-vie bien garni — seront proportionnellement plus exposés.

Cette asymétrie fiscale, classique dans les impôts patrimoniaux, alimente la critique d’une taxation inefficace et symbolique. Pour un CGP, l’enjeu est double : anticiper l’impact fiscal immédiat, mais aussi accompagner la perception sociale de ce patrimoine auprès du client, qui peut ressentir une forme d’injustice ou de ciblage politique.


Les exonérations et zones grises à surveiller

Le texte prévoit des exonérations, mais leurs contours restent flous. Seraient exemptés :

  • Les logements loués à long terme (selon des critères encore en discussion)
  • Les biens immobiliers répondant à des critères environnementaux (DPE A/B, rénovation énergétique performante)
  • Les actifs « orientés économie productive » : participations non cotées, PME, foncières à impact social…

Ces exceptions créent des opportunités d’optimisation, mais aussi des zones d’interprétation qui nécessiteront des clarifications administratives. Un CGP devra notamment veiller à la documentation probante : comment justifier qu’un bien immobilier contribue effectivement à l’économie réelle ? Quelle traçabilité pour les cryptos investies dans des projets décentralisés productifs ?

L’incertitude normative, classique en phase de réforme, impose une posture de veille active et de dialogue rapproché avec les services fiscaux.


Points de vigilance pour les CGP

  1. Revoir les allocations d’actifs : fonds euros vs UC, immobilier vs finance
  2. Anticiper la valorisation : expertise précise des œuvres d’art, cryptos, collections
  3. Documenter l’utilité économique : prouver que tel actif finance l’économie réelle
  4. Préparer les arbitrages clients : expliquer l’impact fiscal sans dramatiser
  5. Suivre le calendrier parlementaire : Sénat, commissions mixtes, version finale attendue

Impacts sectoriels : assureurs, gestionnaires et conseils en alerte

L’opposition des professionnels de l’assurance est massive et argumentée. France Assureurs a multiplié les tribunes, insistant sur le risque de désintermédiation de l’épargne longue. Si les fonds euros deviennent fiscalement répulsifs, les épargnants pourraient se tourner vers des produits moins régulés (cryptos, placements étrangers), aggravant la fragmentation du système financier français.

Les gestionnaires de patrimoine indépendants voient dans cette réforme une opportunité commerciale : repositionner les portefeuilles, valoriser l’expertise dans l’optimisation fiscale, renforcer le conseil sur les unités de compte ou les investissements à impact. Mais cette opportunité s’accompagne d’une exigence accrue de pédagogie : comment expliquer qu’un fonds euros, hier refuge absolu, devient aujourd’hui pénalisé ?

Enfin, les avocats fiscalistes anticipent une vague de contentieux sur la notion d’improductivité. Qu’est-ce qu’un actif productif ? Une œuvre d’art prêtée à un musée ? Un yacht loué via une plateforme ? Une cryptomonnaie stakée sur un protocole DeFi ? Le flou conceptuel ouvre un champ juridique considérable.


Perspectives : vers une refonte complète de la fiscalité patrimoniale ?

Cette réforme n’est qu’un acte intermédiaire. Le texte doit encore passer au Sénat, où la majorité de droite pourrait amender significativement le dispositif, voire le rejeter. Plusieurs scénarios se dessinent :

  • Scénario 1 : adoption en l’état, avec une mise en œuvre dès 2026 et des rendements budgétaires limités, mais un signal politique fort
  • Scénario 2 : édulcoration sénatoriale, avec un relèvement du seuil à 2 millions, une exclusion des fonds euros sous conditions, ou un taux réduit à 0,5 %
  • Scénario 3 : abandon ou report, face aux pressions du secteur financier et à l’incertitude juridique

Au-delà du texte, cette réforme révèle une tension structurelle dans la fiscalité française : comment taxer la fortune sans décourager l’investissement, sans provoquer d’exil fiscal, et sans créer d’effets de bord sur l’allocation d’épargne ? Le débat dépasse largement le périmètre de l’Assemblée nationale : il interroge le modèle économique de l’épargne française, la place de l’État dans l’orientation des flux financiers, et la légitimité de la rente dans une économie vieillissante.

Pour les conseillers en gestion de patrimoine, cette réforme impose une posture proactive : anticiper les ajustements législatifs, sensibiliser les clients dès maintenant, et repositionner l’offre de conseil autour de la notion d’utilité économique du patrimoine. Le patrimoine n’est plus seulement une affaire de rendement et de transmission : il devient un objet politique, soumis à des critères d’acceptabilité sociale et de contribution collective.

« Le patrimoine productif ne sera pas seulement celui qui rapporte, mais celui qui justifie socialement sa détention. »

Cette mutation idéologique, encore embryonnaire, pourrait redéfinir durablement les stratégies patrimoniales des prochaines années. Savoir l’expliquer, l’anticiper et la valoriser auprès des clients constituera un différenciateur majeur pour les CGP visionnaires.