Fiscalité franco-britannique post-Brexit : comment optimiser le patrimoine des expatriés

Fiscalité post-Brexit : maîtrisez les conventions franco-britanniques et optimisez la gestion patrimoniale de vos clients expatriés au Royaume-Uni.

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Fiscalité franco-britannique post-Brexit : comment optimiser le patrimoine des expatriés

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Le Brexit a redessiné la carte fiscale des Français établis outre-Manche. Avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les règles de libre circulation des capitaux et des personnes ont été remplacées par un cadre bilatéral complexe. Pour les conseillers en gestion de patrimoine, accompagner ces clients expatriés exige aujourd’hui une maîtrise fine des conventions fiscales franco-britanniques, une anticipation des évolutions réglementaires et une capacité à structurer des montages patrimoniaux robustes. Les enjeux sont d’autant plus cruciaux que les contrôles fiscaux transfrontaliers se sont intensifiés depuis 2023, et que l’harmonisation européenne ne protège plus automatiquement les situations hybrides.


Cadre fiscal post-Brexit : ce qui a changé pour les expatriés français au Royaume-Uni

Le Royaume-Uni applique depuis janvier 2021 un régime fiscal totalement autonome vis-à-vis du droit communautaire. La convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008, révisée par avenant en 2020, reste la pierre angulaire de la fiscalité des non-résidents. Mais elle ne suffit plus à couvrir toutes les situations patrimoniales contemporaines.

La fin du passeport européen et ses conséquences

La suppression du passeport européen a renforcé les contraintes sur la gestion de portefeuilles transfrontaliers. Les gestionnaires d’actifs français ne peuvent plus commercialiser librement leurs fonds auprès de clients britanniques sans autorisation spécifique de la FCA (Financial Conduct Authority).

À l’inverse, un client français résidant à Londres ne peut plus bénéficier automatiquement des OPCVM européens distribués en France. Cette friction administrative implique pour le CGP de réorganiser les supports d’investissement, en privilégiant les véhicules éligibles des deux côtés de la Manche : assurances-vie luxembourgeoises, comptes-titres internationaux, ou structures de type trust lorsque cela est pertinent.

Selon une étude Deloitte de 2024, 42 % des expatriés français au Royaume-Uni ont dû restructurer leur patrimoine financier dans les trois ans suivant le Brexit.

Fiscalité des revenus : principe de résidence et exceptions

La convention franco-britannique répartit les droits d’imposition selon le type de revenus. Les salaires sont imposables dans le pays d’exercice de l’activité, sauf exceptions pour missions temporaires. Les dividendes sont imposables dans le pays de résidence du bénéficiaire, avec une retenue à la source maximale de 15 % dans l’État source. Les intérêts suivent une logique similaire, avec une retenue plafonnée à 10 %.

En pratique, un expatrié français résidant à Londres et percevant des dividendes d’une société française subira une retenue à la source de 15 %, imputable sur l’impôt britannique. Si le contribuable est affilié au régime des « remittance basis » britannique (taxation sur les revenus rapatriés uniquement), il devra éviter tout transfert de ces dividendes vers le Royaume-Uni pour ne pas déclencher l’imposition locale.

Conseil pratique : Mettez en place un compte de cantonnement en France pour les revenus financiers de source française, afin de différer l’imposition britannique si votre client est éligible au remittance basis. Vérifiez chaque année la pertinence de ce régime, car il s’accompagne d’une charge annuelle croissante (30 000 £ après sept ans de résidence, 60 000 £ après douze ans).


Plus-values mobilières et immobilières : décryptage des mécanismes d’imposition

Les plus-values mobilières réalisées par un résident britannique sur des titres français sont imposables exclusivement au Royaume-Uni, selon l’article 13 de la convention. La France renonce à son droit d’imposer, sauf pour les titres de sociétés à prépondérance immobilière détenant principalement de l’immobilier français.

Les pièges de l’immobilier français détenu depuis Londres

La détention directe d’immobilier résidentiel français par un résident britannique expose à une double imposition potentielle :

  • En France : imposition des revenus fonciers au barème progressif (avec abattement de 30 % en micro-foncier si loyers inférieurs à 15 000 €) et prélèvements sociaux de 17,2 %.
  • Au Royaume-Uni : imposition des revenus fonciers mondiaux au barème britannique (20 %, 40 % ou 45 %), avec crédit d’impôt pour l’impôt français payé.

À la cession, la plus-value immobilière est imposable en France (19 % + 17,2 % de prélèvements sociaux), avec abattement pour durée de détention. Le Royaume-Uni n’impose pas cette plus-value si le bien n’est pas situé sur son territoire, mais les prélèvements sociaux français restent dus, y compris pour les non-résidents.

Type de bien Imposition des revenus Imposition de la plus-value Prélèvements sociaux
Immobilier français (résident UK) France + UK (crédit d’impôt) France uniquement France (17,2 %)
Immobilier britannique (résident UK) UK uniquement UK uniquement Aucun
Résidence principale UK Exonération locale possible Exonération locale (PPR) Aucun

Question fréquente : Mon client français résidant à Londres doit-il déclarer sa résidence principale britannique en France ?

Non, la résidence principale située au Royaume-Uni n’est pas imposable en France. Seuls les revenus de source française (immobiliers, financiers) doivent figurer dans la déclaration française n° 2042-NR, accompagnée de l’imprimé 2047 pour les revenus encaissés à l’étranger.

Optimisation par la SCI française : bonne ou mauvaise idée ?

L’interposition d’une société civile immobilière (SCI) peut sembler attractive pour reporter l’imposition britannique. Mais attention : depuis 2019, le Royaume-Uni a renforcé les règles anti-abus visant les structures interposées. Une SCI transparente fiscalement en France peut être requalifiée en « offshore structure » au Royaume-Uni, entraînant une taxation immédiate des plus-values latentes.

Pour éviter cette requalification, privilégiez une SCI à l’IS en France. Elle sera considérée comme une société opaque par le Royaume-Uni, et les dividendes versés bénéficieront du taux réduit conventionnel de 15 %. Mais cette option génère une double imposition : IS en France (25 %), puis imposition personnelle au UK sur les dividendes perçus.

Conseil pratique : Simulez systématiquement les deux schémas (détention directe vs SCI à l’IS) sur un horizon de 10 ans, en intégrant les frais de gestion, l’évolution patrimoniale et les perspectives de retour en France. Dans 60 % des cas, la détention directe reste plus avantageuse pour les patrimoines inférieurs à 1 million d’euros.


Assurance-vie et transmission : naviguer entre deux systèmes juridiques

L’assurance-vie française conserve son attrait pour les expatriés britanniques, mais son traitement fiscal a été profondément modifié par le Brexit. L’article 8 de la directive succession (UE) 650/2012 ne s’applique plus aux successions impliquant le Royaume-Uni.

Traitement fiscal des rachats et successions

Les rachats effectués par un résident britannique sur un contrat français restent soumis au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % en France (12,8 % d’impôt + 17,2 % de prélèvements sociaux). Le Royaume-Uni impose également ces gains selon son propre barème, avec crédit d’impôt pour l’impôt français.

Depuis avril 2023, le Royaume-Uni applique une exemption annuelle de 6 000 £ (contre 12 300 £ auparavant) sur les gains en capital, ce qui réduit mécaniquement l’attractivité des rachats fractionnés.

Au décès, l’assurance-vie française bénéficie en France du régime de faveur (abattement de 152 500 € par bénéficiaire pour les primes versées avant 70 ans). Mais le Royaume-Uni applique ses propres droits de succession (inheritance tax) de 40 % sur les actifs mondiaux, avec un abattement de 325 000 £ (porté à 500 000 £ pour la résidence principale si transmise aux descendants directs).

La convention fiscale ne prévoit pas de mécanisme d’élimination de la double imposition sur les successions. En pratique, le fisc britannique accorde un crédit unilatéral pour les droits français payés, mais ce crédit est souvent insuffisant.

Situation Taxation française Taxation britannique Risque de double imposition
Primes avant 70 ans 20 % après 152 500 € 40 % après 325 000 £ Élevé
Primes après 70 ans Droits de succession français 40 % après 325 000 £ Très élevé
Bénéficiaire UK non-domicilié 20 % après 152 500 € Exonération si actifs hors UK Faible

Stratégie du démembrement de clause bénéficiaire

Pour limiter l’exposition à l’inheritance tax britannique, envisagez un démembrement de la clause bénéficiaire : l’usufruit est attribué au conjoint survivant (exonération totale en France et au UK), la nue-propriété aux enfants. Cette structure permet de réduire l’assiette taxable britannique en valorisant seulement l’usufruit selon le barème fiscal local.

Autre option : orienter les capitaux vers des contrats luxembourgeois détenus via une structure de type trust discrétionnaire. Le trust, sous réserve de respecter les critères d’opposabilité britannique, peut offrir une neutralité successorale temporaire, moyennant des coûts de gestion annuels de l’ordre de 0,5 à 1 % des actifs.

Question fréquente : Un expatrié français au UK doit-il fermer ses contrats d’assurance-vie français ?

Non, mais il doit vérifier que l’assureur accepte encore sa résidence britannique. Certains assureurs français ont restreint leur offre aux résidents UE/EEE après le Brexit. Si le contrat est maintenu, il conserve son antériorité fiscale, précieuse pour l’abattement de 4 600 € (9 200 € pour un couple) après huit ans.

Conseil pratique : Réalisez un audit annuel de la domiciliation fiscale de vos clients expatriés. Le statut de « non-domicilié » britannique peut être perdu involontairement après 15 ans de résidence, déclenchant une taxation mondiale rétroactive. Anticipez en documentant chaque année les intentions de retour et les liens maintenus avec la France.


Structuration juridique avancée : holdings, trusts et conventions sur mesure

Pour les patrimoines supérieurs à 2 millions d’euros, l’interposition d’une holding patrimoniale française ou luxembourgeoise peut optimiser la fiscalité transfrontalière. La holding permet de centraliser les revenus financiers, de différer l’imposition personnelle, et de préparer une transmission en douceur.

Holding française vs holding luxembourgeoise : tableau comparatif

Critère Holding française Holding luxembourgeoise
Imposition des dividendes reçus Régime mère-fille (95 % exonération) Participation exemption (100 % exonération)
Imposition des plus-values Exonération si participation > 2 ans et > 5 % Exonération si participation > 1 an
Coût annuel de gestion 1 500 à 3 000 € 5 000 à 10 000 €
Flexibilité juridique Limitée (droit français strict) Élevée (multi-classes d’actions, pactes)
Perception UK Structure européenne standard Structure offshore potentielle

La holding luxembourgeoise offre une neutralité fiscale supérieure, mais sa substance doit être réelle : directeur local, siège effectif, comptes certifiés. À défaut, le fisc britannique peut invoquer les règles anti-abus (CFC rules) et réintégrer les bénéfices non distribués dans l’assiette personnelle du résident.

Utilisation des trusts : opportunités et limites

Le trust anglo-saxon reste un outil puissant pour organiser la transmission d’actifs internationaux, à condition de respecter scrupuleusement les obligations déclaratives françaises (formulaire Trust n° 2181-TRUST2) et britanniques. Depuis 2021, la France impose les revenus et plus-values du trust selon le régime des « bénéficiaires réputés », sauf si le trust est irrévocable et discrétionnaire.

Un expatrié français résidant à Londres peut constituer un trust britannique pour abriter des actifs financiers internationaux. Les revenus ne seront imposables en France que lorsqu’ils seront effectivement distribués au constituant ou aux bénéficiaires français. Mais attention : la taxe de 1,5 % sur les trusts français (article 990 J du CGI) ne s’applique pas aux trusts britanniques dont le constituant est non-résident français.

Question fréquente : Un trust britannique peut-il détenir un contrat d’assurance-vie français ?

Juridiquement oui, mais fiscalement c’est risqué. L’assureur français exigera souvent la transparence complète du trust, et l’administration fiscale française pourra requalifier l’opération en abus de droit si le trust est révocable ou si le constituant conserve des pouvoirs de gestion. Privilégiez un contrat luxembourgeois en « bare trust » pour sécuriser le montage.

Optimisation conventionnelle : jouer sur la résidence fiscale

La convention franco-britannique prévoit des règles de départage pour les situations de double résidence fiscale. Ces règles suivent une cascade : foyer d’habitation permanent, centre des intérêts vitaux, séjour habituel, nationalité.

Un expatrié qui conserve un logement en France tout en résidant à Londres peut se retrouver résident fiscal des deux pays. Pour sécuriser sa situation, il doit constituer un dossier de résidence solide :

  1. Bail ou titre de propriété au UK
  2. Contrat de travail britannique
  3. Inscription consulaire
  4. Inscription au NHS (National Health Service)
  5. Factures de consommation courante (eau, électricité, internet)
  6. Historique bancaire britannique sur 12 mois minimum

Conseil pratique : Organisez un rendez-vous de résidence fiscale chaque année avec vos clients expatriés, idéalement en septembre, pour anticiper la déclaration fiscale de l’année suivante. Vérifiez que le nombre de jours de présence en France reste inférieur à 183 par an, et documentez chaque déplacement professionnel pour éviter toute contestation.


Vers une maîtrise durable de la fiscalité transfrontalière

Le paysage fiscal post-Brexit impose aux CGP une vigilance permanente et une capacité d’adaptation rapide. Les conventions fiscales bilatérales, bien que stables, sont complétées par des réglementations nationales en constante évolution. L’administration fiscale britannique a intensifié ses contrôles sur les structures offshore depuis 2023, tandis que la France renforce chaque année les obligations déclaratives des non-résidents.

Face à cette complexité, trois leviers stratégiques se dégagent pour optimiser durablement le patrimoine des expatriés :

  • Structuration anticipée : ne pas attendre l’expatriation pour organiser le patrimoine, mais préparer le terrain 12 à 18 mois avant le départ.
  • Documentation rigoureuse : constituer et actualiser annuellement un dossier fiscal complet, incluant justificatifs de résidence, déclarations, et correspondances avec les administrations.
  • Veille réglementaire active : suivre les évolutions législatives des deux côtés de la Manche, notamment les budgets annuels britanniques (mars) et français (septembre).

Mini-FAQ complémentaire

Un client britannique peut-il bénéficier du PEA en s’installant en France ?

Non, le PEA est réservé aux résidents fiscaux français. Un Britannique s’installant en France pourra ouvrir un PEA, mais perdra son éligibilité au UK ISA (Individual Savings Account) et devra déclarer les gains du PEA au fisc britannique s’il conserve des liens de résidence.

Comment traiter fiscalement une pension de retraite française perçue au UK ?

Les pensions privées françaises sont imposables au Royaume-Uni selon l’article 18 de la convention, avec crédit d’impôt pour la retenue à la source française éventuelle. Les pensions publiques (fonctionnaires) restent imposables exclusivement en France.

La donation d’un bien français à un enfant résident britannique est-elle taxable en France ?

Oui, la France impose les donations de biens situés en France, quel que soit le domicile du donateur ou du donataire. Le barème applicable dépend du lien de parenté (abattement de 100 000 € en ligne directe, puis taxation de 5 à 45 %). Le Royaume-Uni n’impose pas les donations entre vifs, sauf si le donateur décède dans les 7 ans suivant la donation.


Pour aller plus loin : Proposez à vos clients expatriés ou en projet d’expatriation un bilan patrimonial transfrontalier annuel, intégrant simulation fiscale, revue des supports d’investissement et mise à jour de la stratégie successorale. Cette approche proactive vous positionnera comme l’expert de référence sur ces enjeux complexes, tout en sécurisant juridiquement et fiscalement le patrimoine de vos clients face aux évolutions réglementaires continues.