Or et Bitcoin aux sommets : les monnaies fiduciaires en perte de confiance structurelle ?

Or et Bitcoin atteignent des records historiques simultanés, tandis que l’euro s’apprécie de 13% face au dollar. Analyse des mutations du système monétaire.

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L’or franchit les 3 895 dollars l’once, le Bitcoin dépasse les 118 000 dollars. Ces sommets historiques simultanés ne relèvent pas du hasard. Ils traduisent une mutation profonde du système monétaire international, où les actifs tangibles et numériques captent une part croissante de la confiance des investisseurs institutionnels. Pendant ce temps, l’euro s’apprécie de 13% face au dollar depuis janvier 2025, inversant brutalement les prévisions consensus. Cette configuration inédite interroge : assistons-nous à une remise en question structurelle des monnaies fiduciaires traditionnelles ?

La convergence inédite or-Bitcoin : au-delà de la corrélation technique

Une synchronisation révélatrice d’un phénomène de fond

La hausse conjointe de l’or et du Bitcoin marque un tournant dans la perception des actifs de réserve. Historiquement, ces deux classes d’actifs évoluaient de manière décorrélée. Aujourd’hui, leur progression simultanée révèle une dynamique commune : la recherche d’alternatives crédibles aux monnaies souveraines.

L’or, valeur refuge millénaire, a toujours prospéré lors des phases d’incertitude monétaire. Le Bitcoin, né en 2009 dans le sillage de la crise financière, s’impose progressivement comme un « or numérique » dans l’imaginaire collectif des investisseurs institutionnels. Cette reconnaissance s’accélère depuis 2024 avec l’approbation des ETF Bitcoin au comptant par la SEC américaine, qui a ouvert les vannes des flux institutionnels.

« Le Bitcoin n’est plus un actif spéculatif marginal. Il devient un élément structurant de diversification patrimoniale, au même titre que l’or physique », affirme un gestionnaire d’actifs interrogé récemment.

Les moteurs fondamentaux de cette double envolée

Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer cette appréciation simultanée :

1. L’inflation structurelle persistante

Malgré les efforts des banques centrales, l’inflation demeure élevée dans les économies développées. Les taux directeurs, bien que maintenus à des niveaux restrictifs, peinent à endiguer une inflation devenue multifactorielle : tensions géopolitiques, ruptures des chaînes d’approvisionnement, transition énergétique coûteuse. L’or et le Bitcoin apparaissent comme des protections naturelles contre l’érosion du pouvoir d’achat.

2. La fragmentation géopolitique accélérée

Les tensions sino-américaines, le conflit russo-ukrainien prolongé, l’instabilité au Moyen-Orient créent un climat d’incertitude favorable aux actifs perçus comme « hors système ». L’or bénéficie traditionnellement de ce contexte. Le Bitcoin, grâce à sa nature décentralisée et transfrontalière, s’impose comme une alternative pour contourner les sanctions internationales et les restrictions de capitaux.

3. Les achats institutionnels massifs

Strategy (anciennement MicroStrategy) poursuit sa stratégie d’accumulation agressive de Bitcoin, avec un portefeuille dépassant désormais les 500 000 BTC. D’autres entreprises cotées suivent cette voie, considérant le Bitcoin comme une réserve de trésorerie supérieure aux liquidités traditionnelles. Parallèlement, les banques centrales des pays émergents (Chine, Russie, Turquie, Inde) intensifient leurs achats d’or physique pour diversifier leurs réserves hors dollar.

4. La dématérialisation progressive de la valeur

Le Bitcoin incarne une forme de monnaie native du monde numérique. Sa rareté programmée (21 millions d’unités maximum) contraste avec l’expansion monétaire illimitée des banques centrales. Cette propriété attire une nouvelle génération d’investisseurs, mais aussi des conseillers patrimoniaux cherchant à proposer des solutions innovantes à leurs clients fortunés.

Perspectives pour fin 2025 : entre euphorie et prudence

Les analystes les plus optimistes tablent sur un Bitcoin à 150 000-200 000 dollars d’ici décembre 2025. Ces projections reposent sur plusieurs hypothèses :

  • La poursuite des flux institutionnels via les ETF
  • Un potentiel assouplissement monétaire de la Fed en seconde moitié d’année
  • L’adoption croissante du Bitcoin par les États (Salvador, République centrafricaine) et les entreprises

Toutefois, la volatilité intrinsèque du Bitcoin reste un facteur de risque majeur. Les corrections de 30 à 40% demeurent fréquentes, même en tendance haussière. Pour un CGP, l’enjeu consiste à dimensionner l’exposition Bitcoin en fonction du profil de risque client, généralement entre 2% et 5% d’un patrimoine diversifié.

L’euro contre le dollar : un basculement stratégique inattendu

Une appréciation qui défie le consensus

L’euro affiche une progression de 13% face au dollar depuis janvier 2025. Ce mouvement surprend, car le consensus anticipait plutôt une dépréciation, alimentée par les menaces tarifaires américaines et les divergences de croissance transatlantiques.

Plusieurs éléments expliquent ce retournement :

1. La remise en question du « privilège exorbitant » du dollar

Le dollar américain jouit depuis Bretton Woods d’un statut de monnaie de réserve mondiale. Cette position lui confère des avantages considérables : capacité d’endettement quasi illimitée, coût d’emprunt structurellement bas, influence géopolitique décuplée. Cependant, l’utilisation croissante du dollar comme arme économique (sanctions, gel d’avoirs) incite de nombreux pays à diversifier leurs réserves.

La Chine et la Russie mènent depuis plusieurs années une stratégie de dédollarisation, privilégiant les transactions bilatérales en monnaies locales, l’or physique et, marginalement, les cryptomonnaies. Cette tendance érode lentement mais sûrement la demande structurelle de dollars.

2. La résilience économique européenne sous-estimée

Contrairement aux prévisions pessimistes, la zone euro démontre une capacité d’adaptation face aux chocs énergétiques et géopolitiques. La diversification des sources d’approvisionnement énergétique, les investissements massifs dans la transition écologique et la politique industrielle européenne (notamment dans les semi-conducteurs et les batteries) renforcent les fondamentaux économiques du Vieux Continent.

3. La politique monétaire de la BCE plus orthodoxe qu’anticipé

La Banque centrale européenne, longtemps critiquée pour son laxisme, a maintenu une posture restrictive plus longtemps que la Fed. Ce différentiel de politique monétaire soutient l’euro face au dollar. Les taux directeurs européens demeurent élevés, rendant les actifs libellés en euros plus attractifs pour les investisseurs internationaux.

4. Les doutes sur la soutenabilité de la dette américaine

La dette fédérale américaine dépasse désormais 35 000 milliards de dollars, soit plus de 120% du PIB. Les déficits budgétaires annuels persistent, alimentés par les dépenses militaires, les programmes sociaux et les baisses d’impôts. Cette trajectoire insoutenable inquiète les investisseurs internationaux, qui réduisent progressivement leur exposition aux bons du Trésor américain.

Projections EUR/USD : scénarios contradictoires

Les prévisions pour la parité EUR/USD divergent significativement selon les analystes :

  • Scénario baissier : retour vers 1.05-1.08 si la Fed reprend un cycle de hausse des taux face à une inflation résurgente
  • Scénario médian : stabilisation autour de 1.15-1.20, reflétant un équilibre nouveau entre les deux économies
  • Scénario haussier : progression vers 1.25-1.30 en cas d’accélération de la dédollarisation mondiale

Pour un CGP, ces variations de change revêtent une importance stratégique dans la construction des portefeuilles clients, notamment pour ceux exposés aux actions américaines ou aux obligations libellées en dollars.


Points clés à retenir pour votre pratique de conseil :

  • L’or et le Bitcoin ne sont plus antagonistes mais complémentaires dans une stratégie de préservation patrimoniale
  • Une allocation de 5 à 10% en or physique reste pertinente pour les patrimoines significatifs
  • Le Bitcoin peut représenter 2 à 5% d’un portefeuille pour les profils tolérant la volatilité
  • La couverture du risque de change EUR/USD redevient un enjeu central pour les portefeuilles internationalisés
  • La diversification géographique et monétaire s’impose comme une nécessité stratégique face à l’instabilité des grandes devises

Les monnaies fiduciaires en question : vers une redéfinition des réserves de valeur

La crise de confiance rampante

Au-delà des fluctuations de court terme, la hausse conjointe de l’or et du Bitcoin traduit un phénomène plus profond : l’érosion progressive de la confiance dans les monnaies fiduciaires. Cette défiance ne s’exprime pas par une fuite brutale, mais par une réallocation graduelle vers des actifs perçus comme indépendants des politiques monétaires gouvernementales.

Plusieurs signaux confirment cette tendance :

  • Les banques centrales des pays émergents achètent de l’or à un rythme record (plus de 1 000 tonnes par an depuis 2022)
  • Les grandes fortunes diversifient leurs liquidités vers des actifs tangibles (immobilier, œuvres d’art, or, Bitcoin)
  • Les entreprises technologiques intègrent le Bitcoin dans leurs bilans comptables
  • Les États autoritaires développent des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) pour concurrencer les cryptomonnaies décentralisées

Le rôle pivot des conseillers en gestion de patrimoine

Face à cette reconfiguration monétaire mondiale, les CGP occupent une position stratégique. Leurs clients, souvent peu familiers de ces évolutions, attendent des analyses éclairées et des recommandations prudentes.

Trois axes de conseil émergent :

1. L’éducation patrimoniale

Expliquer la différence fondamentale entre monnaie fiduciaire (basée sur la confiance en l’État émetteur), or (valeur intrinsèque reconnue depuis des millénaires) et Bitcoin (rareté mathématique garantie par un protocole informatique). Cette pédagogie renforce la crédibilité du conseiller et facilite l’acceptation de solutions innovantes.

2. La construction d’allocations résilientes

Intégrer progressivement l’or et, pour les profils adaptés, le Bitcoin dans les allocations patrimoniales. L’objectif n’est pas de maximiser le rendement à court terme, mais de préserver le pouvoir d’achat sur le long terme face aux risques monétaires systémiques.

3. La veille stratégique continue

Les bouleversements monétaires s’accélèrent. Un CGP qui maîtrise ces enjeux géopolitiques et financiers se distingue nettement de ses concurrents. Cette expertise devient un atout commercial décisif pour attirer et fidéliser une clientèle patrimoniale exigeante.

L’hypothèse d’un nouveau Bretton Woods numérique

Certains économistes évoquent la nécessité d’une refonte du système monétaire international, à l’image de la conférence de Bretton Woods en 1944. Cette fois, le système pourrait intégrer des actifs numériques (Bitcoin, stablecoins) aux côtés des monnaies souveraines traditionnelles.

Cette perspective, encore spéculative, mérite d’être suivie attentivement. Un tel basculement pourrait redéfinir profondément les équilibres patrimoniaux mondiaux.

Perspectives et implications pour la gestion patrimoniale

Les scénarios possibles à 12-24 mois

Scénario 1 : Normalisation progressive

Les tensions inflationnistes s’apaisent, les banques centrales assouplissent leurs politiques monétaires, l’or et le Bitcoin connaissent une consolidation après leur envolée. L’euro et le dollar retrouvent une stabilité relative. Ce scénario « optimiste » implique une désescalade géopolitique et un retour à la croissance mondiale coordonnée.

Scénario 2 : Poursuite de la fragmentation monétaire

Les tensions géopolitiques persistent, la dédollarisation s’accélère, l’or poursuit sa progression, le Bitcoin connaît une volatilité extrême mais une tendance haussière de fond. L’euro s’apprécie durablement face au dollar. Ce scénario « médian » suppose une recomposition lente du système monétaire international.

Scénario 3 : Crise monétaire systémique

Une crise de confiance brutale frappe l’une des grandes monnaies (dollar, euro, yuan), provoquant une fuite massive vers l’or et, dans une moindre mesure, le Bitcoin. Ce scénario « pessimiste » impliquerait des interventions exceptionnelles des banques centrales et des États.

Les recommandations stratégiques pour les CGP

Pour accompagner efficacement leurs clients dans ce contexte incertain, les conseillers en gestion de patrimoine doivent :

1. Renforcer la diversification monétaire et géographique

Ne plus se contenter d’une exposition Europe/États-Unis, mais intégrer les marchés émergents asiatiques, l’or physique et éventuellement une part de Bitcoin pour les profils appropriés.

2. Privilégier les actifs tangibles et décorrélés

Immobilier de qualité, infrastructures, matières premières, or physique : ces actifs offrent une protection contre l’inflation et les turbulences monétaires.

3. Intégrer une dimension géopolitique dans l’analyse patrimoniale

Les décisions d’allocation ne peuvent plus reposer uniquement sur des critères financiers traditionnels. La géopolitique redessine les flux de capitaux mondiaux.

4. Proposer des solutions de conservation sécurisées

Pour l’or comme pour le Bitcoin, la question de la conservation est cruciale. Les solutions de coffres sécurisés (Suisse, Singapour) et de portefeuilles cryptographiques institutionnels (custody) deviennent des services différenciants.

5. Anticiper les évolutions réglementaires

La régulation des cryptoactifs s’intensifie (MiCA en Europe, SEC aux États-Unis). Maîtriser ces cadres juridiques permet d’éviter les écueils et de rassurer les clients sur la conformité des solutions proposées.


La hausse spectaculaire de l’or et du Bitcoin, conjuguée aux fluctuations EUR/USD, annonce probablement une décennie de recomposition monétaire profonde. Les conseillers en gestion de patrimoine qui sauront décrypter ces mutations et adapter leurs recommandations en conséquence disposeront d’un avantage concurrentiel décisif. Loin d’être une mode passagère, cette évolution redéfinit durablement ce que signifie « préserver la valeur » au XXIe siècle.