L’immobilier d’entreprise européen entame 2025 dans un entre-deux stratégique. Après deux années de corrections brutales, le marché affiche une reprise de confiance mesurée, portée par près de 80 % des prêteurs qui anticipent une hausse de leur activité. Mais cette embellie reste sous surveillance : incertitudes géopolitiques, exigences ESG durcies et raréfaction de l’offre neuve redessinent en profondeur les règles du jeu. Pour les conseillers en gestion de patrimoine, comprendre ces dynamiques devient essentiel pour accompagner clients institutionnels et investisseurs privés dans leurs arbitrages immobiliers.
Sommaire
- 1 Une confiance de façfaçade : les prêteurs reprennent, mais prudemment
- 2 ESG : le nouvel impératif de finançabilité
- 3 Bureaux régionaux : un marché sous tension
- 4 Capitaux privés et family offices : les nouveaux acteurs dominants
- 5 Risques et incertitudes : une valorisation encore délicate
- 6 Perspectives : un marché qui se polarise
Une confiance de façfaçade : les prêteurs reprennent, mais prudemment
L’enquête menée par CBRE au troisième trimestre 2025 auprès des acteurs du financement immobilier européen dresse un constat en demi-teinte. 79 % des prêteurs prévoient d’augmenter leur activité cette année, un signal positif après deux exercices marqués par l’attentisme. Mais cette reprise s’accompagne d’une vigilance accrue : 69 % citent l’incertitude géopolitique comme principale menace pesant sur le crédit immobilier.
Les tensions entre grandes puissances, la volatilité énergétique et les recompositions des chaînes d’approvisionnement continuent de peser sur les décisions d’allocation de capital. Le secteur immobilier, par nature long terme et capitalistique, reste particulièrement sensible à ces frictions. Les prêteurs intègrent désormais des primes de risque géopolitique dans leurs grilles de notation, ralentissant mécaniquement le rythme des financements.
Le refinancement plutôt que l’acquisition
Cette prudence se traduit concrètement dans les stratégies de prêt. 56 % des prêteurs européens concentrent leur activité sur le refinancement, une proportion qui grimpe à 74 % en France. L’acquisition de nouveaux actifs passe au second plan. Ce basculement reflète une double réalité :
- Les investisseurs préfèrent sécuriser leur portefeuille existant plutôt que s’exposer à de nouveaux risques.
- Les prix demeurent difficiles à évaluer après plusieurs trimestres d’ajustements erratiques.
Pour les CGP, cette tendance offre un angle de conseil : les clients détenant des actifs immobiliers professionnels peuvent bénéficier de conditions de refinancement intéressantes, à condition de présenter des garanties solides et, surtout, une feuille de route ESG crédible.
ESG : le nouvel impératif de finançabilité
L’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ne constitue plus une option différenciante, mais un seuil d’accès au financement. 71 % des prêteurs refusent désormais de financer des actifs dépourvus de trajectoire ESG définie. Cette radicalisation des pratiques s’explique par plusieurs facteurs :
- Réglementation accrue : la taxonomie européenne, la directive CSRD et les obligations de reporting extra-financier imposent aux prêteurs de verdir leur bilan.
- Risque de dépréciation : les immeubles « bruns » subissent des décotes importantes et deviennent difficilement revendables.
- Pression des investisseurs finaux : fonds de pension, assureurs et family offices exigent des actifs conformes aux objectifs climatiques.
À l’inverse, 57 % des prêteurs proposent des conditions préférentielles (taux réduits, durées allongées, quotités majorées) pour les projets exemplaires en matière de performance énergétique, gestion des déchets ou inclusion sociale. Cette dichotomie crée un marché à deux vitesses : d’un côté, des actifs prime conformes aux standards ESG qui attirent les capitaux ; de l’autre, un segment secondaire ou tertiaire peinant à trouver financeurs et acquéreurs.
« Les immeubles sans certification ou plan de rénovation énergétique sont devenus des actifs toxiques. Même avec un bon emplacement, ils ne trouvent plus preneurs. » — Responsable financement immobilier, grande banque européenne.
Les certifications qui comptent
Pour structurer une démarche ESG crédible, plusieurs labels sont devenus incontournables :
- HQE (Haute Qualité Environnementale)
- BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method)
- LEED (Leadership in Energy and Environmental Design)
- WELL Building Standard (centré sur le bien-être des occupants)
Les CGP doivent intégrer ces certifications dans leur due diligence, car elles conditionnent non seulement l’accès au crédit, mais aussi les perspectives de valorisation à moyen terme.
Bureaux régionaux : un marché sous tension
Le segment des bureaux régionaux, particulièrement en France, illustre parfaitement les bouleversements en cours. Les volumes d’investissement ont été divisés par deux au premier semestre 2025, tombant à environ 300 millions d’euros, contre plus de 600 millions un an plus tôt.
Cette chute s’explique par plusieurs facteurs structurels :
- Raréfaction de l’offre neuve : les promoteurs ont gelé de nombreux projets faute de visibilité sur la demande locative et les coûts de construction.
- Télétravail structurel : les entreprises réduisent leurs surfaces moyennes par employé, privilégiant des sites flexibles et mieux équipés.
- Obsolescence accélérée : les immeubles de seconde génération, sans climatisation performante ni câblage adapté au digital, peinent à trouver preneurs.
Paradoxalement, cette rareté crée une tension sur les actifs neufs ou récemment rénovés, qui se louent à des loyers prime et affichent des taux de vacance très bas. Les investisseurs institutionnels arbitrent en faveur de ces actifs « core », délaissant les marchés secondaires où le risque de dépréciation reste élevé.
Les métropoles captent l’essentiel des flux
Les grandes métropoles européennes — Paris, Londres, Francfort, Amsterdam, Barcelone — concentrent plus de 70 % des transactions. Ces marchés bénéficient de plusieurs avantages :
- Liquidité élevée facilitant les arbitrages.
- Demande locative soutenue (sièges sociaux, cabinets de conseil, fintechs).
- Infrastructures de transport et connectivité internationale.
En revanche, les villes moyennes et les périphéries restent boudées, sauf exceptions (Lyon, Munich, Copenhague) où l’équilibre économique et la qualité de vie attirent entreprises et talents.
Capitaux privés et family offices : les nouveaux acteurs dominants
La reconfiguration du marché profite largement aux capitaux privés et family offices, qui représentent désormais une part croissante des transactions. Ces acteurs affichent plusieurs caractéristiques stratégiques :
- Horizon d’investissement long (10-15 ans), compatible avec les cycles immobiliers.
- Flexibilité dans les structures de financement (dette privée, mezzanine, equity).
- Appétence pour les opérations complexes (restructuration, redéveloppement, actifs distressed).
Pour les CGP, cette évolution ouvre des opportunités de co-investissement ou de placement en clubs deals, permettant à leurs clients fortunés d’accéder à des actifs de qualité institutionnelle tout en mutualisant les risques.
Un marché d’initiés
L’accès à ces opportunités repose sur un réseau dense et une capacité d’analyse fine. Les CGP doivent développer des partenariats avec des plateformes spécialisées, des family offices locaux ou des sociétés de gestion immobilière pour identifier les « off-market deals » avant qu’ils ne soient largement distribués.
Risques et incertitudes : une valorisation encore délicate
Malgré les signaux de reprise, plusieurs facteurs de vigilance demeurent :
- Risque de récession : 42 % des prêteurs redoutent un ralentissement économique marqué, pénalisant la demande locative.
- Trajectoire des taux d’intérêt : 36 % restent incertains sur l’évolution des politiques monétaires de la BCE et de la Banque d’Angleterre.
- Évaluation des prix : 33 % peinent à fixer des valorisations fiables, après plusieurs trimestres de corrections.
Cette incertitude valorielle complique les arbitrages pour les investisseurs, qui doivent jongler entre opportunités de marché (actifs décotés) et risques de dépréciation supplémentaire.
Les secteurs les plus résilients
Certains segments résistent mieux à la volatilité :
- Logistique et entrepôts : dopés par l’e-commerce et la relocalisation industrielle.
- Data centers : la demande explose avec l’IA et le cloud computing.
- Santé et éducation : immobilier spécialisé bénéficiant de besoins structurels.
À l’inverse, le retail traditionnel reste sous pression, malgré quelques signaux de stabilisation dans les centres commerciaux premium.
Perspectives : un marché qui se polarise
L’immobilier d’entreprise européen évolue vers une logique de polarisation. D’un côté, des actifs prime, conformes aux exigences ESG, situés dans des métropoles dynamiques, bénéficiant d’une demande soutenue et d’un accès facilité au financement. De l’autre, un segment secondaire ou tertiaire, confronté à l’obsolescence, la décote et l’exclusion progressive des circuits de financement.
Pour les conseillers en gestion de patrimoine, cette dichotomie impose une sélectivité accrue dans les recommandations d’investissement. Privilégier la qualité, la localisation et la conformité ESG devient la règle. À l’inverse, les stratégies opportunistes sur des actifs dégradés nécessitent une expertise pointue et une capacité de transformation opérationnelle que tous les clients ne possèdent pas.
Points clés à retenir pour les CGP :
- Le refinancement domine l’activité de prêt, l’acquisition reste prudente.
- Les critères ESG conditionnent désormais l’accès au financement et la valorisation.
- La rareté de l’offre neuve renforce la prime aux actifs de qualité.
- Les capitaux privés et family offices s’imposent comme acheteurs stratégiques.
- Les risques géopolitiques et la volatilité des taux freinent la visibilité à moyen terme.
L’année 2025 marquera probablement un tournant structurel pour l’immobilier d’entreprise européen. La normalisation progressive des conditions de financement, couplée à l’exigence de conformité environnementale, redéfinit les équilibres de marché. Les CGP doivent intégrer ces nouvelles grilles de lecture pour accompagner leurs clients dans un environnement où la sélectivité et l’anticipation font la différence entre performance et déconvenue.