Malgré les rumeurs, les distributeurs de billets restent pleinement opérationnels en France, et les retraits en espèces sont toujours autorisés sans justificatif.

Depuis plusieurs semaines circulent sur les réseaux sociaux (TikTok, Facebook, etc.) des vidéos et messages alarmistes affirmant qu’une loi française ou européenne prochaine ou votée interdirait complètement l’argent liquide au profit de l’« euro numérique ». Par exemple, une vidéo TikTok très partagée prétendait qu’une « nouvelle loi en avril » rendrait « l’argent liquide bientôt interdit partout en France et en Europe » . D’autres rumeurs évoquent des mesures comme l’obligation de justifier tout retrait d’espèces ou la suppression des distributeurs automatiques. Ces affirmations sont en grande partie fausses. Aucun texte officiel n’interdit aujourd’hui l’argent liquide en France ou en Europe, et le projet d’euro numérique ne vise pas à remplacer les billets et pièces (bien au contraire ).

Ce dossier fait le point sur l’état réel de la réglementation française et européenne, sépare le vrai du faux, puis fournit des conseils pratiques aux particuliers sur la gestion de leur épargne et les implications pour leur situation fiscale en cas d’évolution vers des paiements sans cash.

Cadre légal actuel : le cash en France et en Europe

En France, l’usage des espèces est déjà encadré par la loi pour lutter contre la fraude. L’article L112‑6 du Code monétaire et financier interdit le paiement en espèces au-delà de certains plafonds. Pour un particulier domicilié fiscalement en France payant un professionnel, le plafond est de 1 000 € (ce montant était déjà effectif en 2015, ramené de 3 000 € à 1 000 €). Si l’acheteur est non-résident, le seuil est plus élevé (10 000 ou 15 000 € selon la situation) . En revanche, ce plafond ne s’applique pas aux transactions entre particuliers : deux personnes physiques peuvent s’échanger des sommes en liquide sans limite légale spécifique . De même, les particuliers peuvent retirer n’importe quelle somme à un distributeur de billets (DAB) sans devoir fournir de justificatif nouveau, comme l’a rappelé la Fédération bancaire française (FBF) face aux rumeurs récentes .

Illustration – L’argent liquide reste très utilisé : ces liasses de billets (ici, des billets de 50 € saisis par la police) montrent que le cash demeure courant pour de nombreux paiements.

Au niveau européen, plusieurs pays ont des limites similaires ou supérieures. Par exemple, l’Italie, l’Espagne et la France ont déjà fixé leur propre plafond à 1 000 € (pour les résidents payant un professionnel) . D’autres États (Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, etc.) autorisent des montants en liquide bien plus élevés pour les achats professionnels. D’ailleurs, une récente proposition européenne de lutte contre le blanchiment prévoit d’abaisser à 10 000 € le plafond maximal autorisé pour un paiement en espèces (une mesure qui entrerait en vigueur vers 2027) . Cette règle ne viserait que les achats très importants (par exemple voitures de luxe, yachts, etc.) et n’affecterait pas les particuliers au quotidien. En effet, la moitié des États membres de l’UE n’avaient à ce jour aucun plafond strict, et la France, l’Italie et l’Espagne ont déjà imposé 1 000 € depuis plusieurs années . En clair, la réglementation européenne envisagée plafonnerait les très gros paiements en liquide (pour contrer le blanchiment d’argent), mais pas la petite transaction courante. Les échanges entre particuliers, eux, resteraient pleinement libres.

En résumé, aucune disposition légale actuelle ne prévoit d’interdire les paiements en espèces de tous montants en France. Les seules évolutions repérables sont la consolidation de plafonds anti-fraude (aujourd’hui déjà stricts en France) et des discussions à Bruxelles pour limiter les usages extrêmes du cash. En ce sens, les sénateurs français ont même refusé fin 2024 un texte visant à réduire davantage les plafonds existants, estimant que cela « restreindrait la liberté de paiement » et « fragiliserait les personnes non bancarisées » . Preuve que, loin de vouloir « supprimer le liquide », les institutions protègent aujourd’hui la possibilité de payer en cash.

Le projet d’euro numérique : qu’en est-il vraiment ?

L’euro numérique est un projet de monnaie digitale de banque centrale (CBDC) en cours d’étude depuis plusieurs années par la Banque centrale européenne (BCE) et l’Eurosystème. Ce projet n’est pas un fantasme : il a bel et bien été lancé en 2021 pour créer une version électronique de l’euro « publique », complémentaire à l’euro physique. Mais il ne s’agit pas de remplacer du jour au lendemain les billets et pièces : au contraire, c’est conçu comme un outil supplémentaire de paiement, sous contrôle public. Comme le rappelle clairement la BCE, « les consommateurs pourraient utiliser de la monnaie de banque centrale sous un format numérique, en complément des billets et des pièces » . Autrement dit, l’euro numérique viendra en plus de l’argent liquide, pas à la place. La FAQ officielle de la BCE le confirme sans ambiguïté : « Non, l’euro numérique coexisterait avec les espèces, sans s’y substituer. […] Les espèces resteraient disponibles dans la zone euro » .

Fonctionnement et protections prévues. L’euro numérique prévu par la BCE offrirait des paiements instantanés en ligne et hors ligne, via une application ou une carte dédiée. En hors ligne (si vous n’avez pas de connexion Internet), il serait conçu pour conserver la même confidentialité que l’argent liquide : lors d’une transaction hors ligne, seuls le payeur et le bénéficiaire connaîtraient les détails . Autrement dit, aucun traçage indiscret par la banque centrale n’aurait lieu dans cette modalité. Par ailleurs, l’euro numérique de base serait gratuit pour l’essentiel des usages courants . Les principes de la proposition législative européenne soulignent que l’euro numérique serait « un bien public », gratuit pour les paiements de base, l’infrastructure restant à moindre coût pour l’utilisateur final .

Pas de « monnaies programmables » ni d’intérêts négatifs pour le citoyen. De nombreuses craintes circulent à tort : non, l’euro numérique ne sera pas « programmable » par une autorité tierce (imposant un délai d’utilisation ou des contraintes strictes sur ce qu’il faut acheter) . En réalité, la BCE exclut que le futur euro numérique impose des conditions prédéfinies aux utilisateurs . Les fonctionnalités automatisées (comme un virement récurrent) ne seront actives qu’à l’initiative de l’utilisateur , et non imposées. De même, les transactions en euro numérique n’entraîneront pas d’intérêt négatif pour les paiements hors ligne : l’usage de l’euro numérique restera un équivalent direct du cash (qui ne rapporte pas d’intérêts). Si rémunération il y avait, elle serait fixe ou nulle pour les paiements hors ligne et jamais négative . Pour les paiements en ligne, une forme d’intérêt variable pourrait exister, mais ces sommes d’argent redeviendront anonymes seulement une fois le dispositif hors ligne reconnecté, toujours sous la contrainte de plafonds techniques.

Calendrier prévisionnel. Plusieurs responsables confirment que le calendrier est lointain. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a indiqué en mai 2025 que l’Eurosystème planifiait d’abord d’introduire un euro numérique de gros (pour les transactions interbancaires) dès 2026, puis de poursuivre les travaux sur la version « de détail » (destinée au public) dans les années suivantes . D’autres sources (ECB) estiment que l’ensemble du cadre législatif pourrait être bouclé d’ici début 2026, puis il faudrait encore deux à trois ans de préparation technique pour lancer la monnaie digitale grand public . En pratique, on n’attend donc pas un « euro numérique grand public » avant 2027-2028, et ce dernier ne remplacerait pas les pièces et billets.

En résumé, l’euro numérique est un projet réel mais il ne supprime pas le cash. Les responsables de la BCE insistent sur ce point : il « constituerait une solution de paiement complémentaire » , adapté à l’ère numérique, mais sans interdire le liquide. Le fonctionnement projeté du digital euro garantit même explicitement un niveau de vie privée similaire aux espèces . Toutes les publications officielles réaffirment que le cash restera disponible et que la monnaie digitale sera gratuite et sécurisée pour les citoyens.

Décryptage des rumeurs virales

Les faux arguments abondent sur les réseaux. Voici quelques-unes des rumeurs principales et leur réalité :

  • Vidéo TikTok du 24 avril (compte « france.info63 ») : une vidéo relayée partout annonçait « confirmation : nouvelle loi en avril – l’argent liquide sera interdit dans toute la France et en Europe » . Cette vidéo est manifestement une canular : aucun texte n’a été voté en avril sur ce sujet. Le site de l’Assemblée nationale ne recense aucune loi promulguée ce mois-là traitant d’argent liquide . Les logos et orthographe de la vidéo étaient faux, signe typique de désinformation.
  • Nécessité d’un justificatif pour les retraits d’espèces : certains ont écrit qu’à partir de 2025, tout retrait au guichet ou au distributeur demanderait une preuve de besoin. C’est faux. La Fédération bancaire française rappelle qu’« aucune nouvelle politique ne prévoit l’exigence d’une pièce d’identité pour retirer de l’argent aux distributeurs » . En pratique, on peut toujours retirer au DAB simplement avec sa carte et son code comme avant.
  • Suppression des distributeurs automatiques : une autre rumeur évoquait la disparition prochaine des DAB. Là aussi, les banques le démentent formellement : aucune instruction de ce type n’a été donnée.
  • Interdiction progressive des billets (par pays européens) : outre la France, des messages ont circulé à propos d’autres pays – par exemple, le fantasme qu’il faudrait abolir les billets de 50 € en Espagne en 2025. Mais la Banque d’Espagne a démenti tout retrait du marché ; tous les billets continuent d’être valables . Il n’y a aucune mesure concrète de ce genre en France non plus.
  • Loi d’interdiction du cash en Europe en 2025 ou 2026 : ce type de rumeur généralise abusivement des discussions européennes. En réalité, comme vu plus haut, l’UE envisage un plafond à 10 000 € (en cours de négociation) , loin d’une interdiction du cash. De plus, même si l’UE fixait ce plafond en 2027, cela ne toucherait pas les petits épargnants en France – déjà soumis à 1 000 € maximum et aux mêmes 1 000 € en Espagne/Italie .
  • Rumours sur l’euro numérique : on lit aussi que « l’euro numérique viendra remplacer l’argent liquide en octobre 2025 » ou que « votre argent ne vous appartiendra plus ». Aucune source officielle ne confirme ce genre d’échéance. Au contraire, la présidente de la BCE a déclaré que le digital euro serait prêt après 2025 et viendrait compléter la monnaie existante . Les fact-checkers (AFP, La Tribune, RMC, etc.) insistent : les vidéos évoquant une disparition du cash mélangent volontiers fiction (générée par IA) et faits réels sorties de leur contexte.

Globalement, la propagande anti-cash exploite deux peurs classiques : la surveillance des transactions et la dévaluation ou confiscation de l’épargne. Mais les documents officiels (BCE, Banque de France) et les décisions politiques actuelles montrent que l’objectif n’est pas d’interdire le cash. Au contraire, de nombreuses voix (BNF, sénateurs, économistes) rappellent que les espèces restent importantes pour la liberté individuelle et l’inclusion sociale .

Conséquences et conseils pour l’épargnant

Implications pratiques

Pour l’instant, le cash reste roi pour vos petites transactions. Vous pouvez continuer à payer en espèces pour vos achats sans inquiétude, dans les limites légales (1 000 € dans un commerce si vous êtes résident, même plafond pour les non-résidents achetant à un assujetti au BL/FT) . Le billet ou la pièce n’ont pas vocation à disparaître avant de nombreuses années, si jamais (rien n’a été voté). Même quand l’euro numérique sera disponible, il sera présenté comme un plus pour faciliter certains paiements (par exemple en cas d’indisponibilité de connexion internet), pas un substitut forcé. Les particuliers disposant déjà de moyens de paiement numériques (cartes bancaires, applications mobiles, virements instantanés) ne subiront aucune rupture : ils pourront adopter l’euro numérique comme ils adoptent déjà la carte bancaire, s’ils le souhaitent, sans « perdre » d’argent.

Surveillance et fiscalité

Une inquiétude récurrente est la perte de vie privée et le resserrement fiscal. Il est vrai qu’une plus grande numérisation des paiements rendra toutes vos transactions plus traçables par les autorités. Cela aura pour effet de compliquer la fraude (travail non déclaré, achats « au noir », etc.) et de faciliter la détection des montants importants. Sur le plan fiscal, il ne faut pas s’attendre à de nouvelles taxes automatiques sur l’euro numérique en soi : c’est une monnaie, pas un revenu. Par contre, la suppression éventuelle du cash limiterait les échappatoires fiscales. Par exemple, il est aujourd’hui impossible de prouver en banque les petits revenus encaissés en liquide, ce qui permet à certains de sous-déclarer leur chiffre d’affaires. Si tout passe par des traces numériques, le fisc pourra vérifier plus facilement. Mais cela fait partie de l’ambition affichée (lutte contre la fraude, protection des non-bancarisés) – pas d’une « volonté cachée » soudaine.

Les particuliers n’ont pas de nouvelles obligations fiscales directes liées au digital euro. Les revenus financiers restent taxés comme aujourd’hui. Si vous faites des virements ou utilisez une carte, vous avez déjà l’obligation de conserver vos justificatifs fiscaux. La principale nouveauté serait que les organismes publics pourraient avoir une vision plus immédiate de vos dépenses, ce qui peut inspirer une meilleure rigueur de déclaration (et théoriquement moins de fraude possible). Concrètement : continuez à conserver factures et preuves d’achats importants comme d’habitude, et déclarez vos revenus selon les règles en vigueur. Rien, dans les documents officiels, n’indique qu’un « impôt plancher » ou « prélèvement automatisé » sera appliqué via l’euro numérique.

En revanche, il faudra rester prudent sur deux points majeurs :

  • Le respect des seuils légaux. Pour éviter toute difficulté, souvenez-vous des plafonds en vigueur : notamment le plafond de 1 000 € dans les transactions commerciales entre particuliers et professionnels résidents, et les seuils plus élevés pour les non-résidents (voir plus haut ). Si vous vendez quelque chose ou retirez de grosses sommes, gardez à l’esprit que les banques peuvent vous demander des explications, mais toujours dans le cadre des règles existantes (et pas au-delà). Aucun nouveau « seuil zéro cash » n’a été adopté.
  • La sécurisation de votre argent. Le développement de l’euro numérique ne met pas en danger vos dépôts bancaires – au contraire, c’est un outil public qui garantira la solidité de la monnaie (l’État reste responsable de sa valeur). Il ne faut pas paniquer sur le risque de blocage des comptes ou de confiscation : rien n’indique que les autorités européennes vont exproprier l’épargne des particuliers via le CBDC. Au contraire, l’euro numérique offrira une garantie de fonds « comme du cash », en cas de crise bancaire par exemple, puisque ce serait de la monnaie centrale.

Conseils aux épargnants

  1. Restez informés auprès de sources fiables. Évitez les chaînes ou blogs anonymes. Préférez les communiqués officiels (BCE, Banque de France), les sites d’information reconnus (AFP Factuel, sites de grands médias) et les publications du gouvernement. Comme on l’a vu, les organes fact-checking ont déjà démenti les principales rumeurs .
  2. Conservez du cash pour l’urgence, mais sans excès. Il peut être prudent d’avoir une réserve de quelques centaines d’euros en liquide chez soi, par précaution (panne de carte, coupure électrique, etc.). Cela reste légal et rassurant. Inutile cependant de retirer d’un coup tout votre épargne. Déballez à la banque des montants supérieurs à 1 000 € en une fois – mieux vaut plusieurs retraits. Et ne sortez pas du contexte la limite de 10 000 € du projet européen : cela ne concerne pas des dépenses courantes, mais de très gros achats, et ne s’applique pas avant 2027 (voire jamais dans votre vie quotidienne) .
  3. Diversifiez vos moyens de paiement. L’argent liquide n’est pas interdit, mais vous gagnerez à utiliser à bon escient les outils numériques qui existent déjà (cartes bancaires, virements instantanés, applications de paiement mobile). Cela vous préparera à l’éventualité de l’arrivée de l’euro numérique : son usage devrait se faire par l’intermédiaire de banques et d’applications similaires. Gérez vos comptes en ligne de manière sécurisée (mots de passe forts, application officielle de votre banque). Ne stockez pas toute votre épargne liquide sous votre matelas : utilisez les outils bancaires comme aujourd’hui.
  4. Anticipez les conséquences fiscales. Rien ne change dans le principe : vos intérêts sur livrets ou comptes courant sont toujours imposables selon les mêmes règles. Si vous recevez de l’argent en liquide (cadeau, prêt, etc.) et que c’est significatif, restez conforme aux obligations déclaratives (par exemple donation ou prêt personnel, qui ont des seuils déclaratifs). Si vos revenus provenaient partiellement d’activités au noir, sachez que l’usage généralisé du digital rendra ces écarts plus visibles – le mieux reste de régulariser ses comptes pour éviter des redressements. En résumé, assumez vos revenus connus : la traçabilité accrue ne crée pas de nouvelles impositions, elle les contrôle mieux.
  5. Restez calme et prudent. L’euro numérique (quand il viendra) a été conçu pour coexister avec l’argent liquide et faciliter les paiements numériques, sans que le citoyen « perde la main ». Comme le résume une fiche FAQ de la BCE : « Comme les espèces, l’euro numérique serait sans risque, largement accessible, facile à utiliser et gratuit pour les utilisations de base » . Il n’est ni une « extinction programmée du cash » ni un outil de confiscation instantanée. Ne réagissez pas aux campagnes effrayantes. En tant qu’épargnant, continuez vos pratiques habituelles : diversifier (argent liquide, compte courant, placements), tenir vos factures, et suivre les instructions officielles en cas de changement (vous serez prévenus via les médias grand public avant toute réforme véritable).

En conclusion, l’idée d’un « cash supprimé » imminent en France est un canular. Les seules évolutions annoncées visent à maintenir un niveau élevé de confiance dans la monnaie (lutte contre le blanchiment, souveraineté numérique) et à offrir aux citoyens un mode de paiement supplémentaire. Le cash, protégé par la loi, restera un droit fondamental de paiement pour les particuliers – tout simplement parce qu’il offre liberté et anonymat, deux valeurs que défendent aussi l’Eurosystème et les autorités françaises .