Face à l’appétit croissant des pays européens pour attirer les capitaux, une véritable compétition fiscale s’est instaurée pour séduire les grandes fortunes. Cette course offre aux gestionnaires de patrimoine des opportunités stratégiques pour optimiser la situation fiscale de leurs clients fortunés. Analyse des destinations privilégiées, des avantages proposés et des controverses qui en découlent.
Sommaire
- 1 Une concurrence fiscale intense entre pays européens
- 2 L’Italie : un régime forfaitaire attractif pour les ultra-riches
- 3 La Suisse : le « forfait fiscal » pour les rentiers passifs
- 4 Le Portugal : une refonte stratégique des avantages fiscaux
- 5 Les sociétés holding : une zone grise d’optimisation fiscale
- 6 Une planification fiscale multifactorielle
- 7 Recommandations pratiques pour les gestionnaires de patrimoine
Une concurrence fiscale intense entre pays européens
Depuis la crise financière de 2008, les taux maximums d’imposition sur le revenu dans l’UE ont cessé de diminuer. Face à cette stabilisation, une nouvelle tendance a émergé. Les gouvernements ont développé « un nombre croissant de régimes fiscaux préférentiels ciblant les particuliers étrangers », selon l’Observatoire fiscal de l’UE .
Cette stratégie vise à attirer les expatriés fortunés sur leurs territoires. Elle représente une opportunité significative pour les gestionnaires de patrimoine en quête d’optimisation fiscale.
La notion de paradis fiscal varie considérablement selon le profil du contribuable. Jason Piper, responsable de la fiscalité chez l’Association of Chartered Certified Accountants, souligne que « cela dépend énormément de l’origine de cette richesse » . Un régime fiscal avantageux pour un client peut s’avérer inadapté pour un autre.
L’Italie : un régime forfaitaire attractif pour les ultra-riches
L’Italie cumule atouts culturels, climatiques et fiscaux qui en font une destination privilégiée pour les grandes fortunes internationales. Malgré des taux d’imposition relativement élevés sur les revenus personnels et professionnels, le pays propose un régime d’imposition forfaitaire particulièrement avantageux .
Ce dispositif permet aux personnes fortunées de payer une somme fixe sur tous leurs revenus d’origine étrangère, quel que soit leur montant. Le forfait annuel a récemment été porté à 200 000 €, contre 100 000 € auparavant . Ce régime est accessible pendant 15 ans maximum, sous condition de ne pas avoir été résident fiscal italien pendant au moins 9 des 10 dernières années.
Compte tenu du montant du forfait, ce dispositif ne présente un intérêt que pour les contribuables disposant d’un patrimoine très important. Comme le souligne David Lesperance, conseiller en fiscalité et immigration : « L’Italie est très populaire. Quand la taxe forfaitaire était de 100 000 €, l’un de mes clients m’a dit que c’était ce qu’il payait à son comptable chaque année » .
Le principal avantage de ce système réside dans l’absence de coûts de conformité pour la planification fiscale, ce qui représente une économie substantielle pour les patrimoines complexes.
La Suisse : le « forfait fiscal » pour les rentiers passifs
La Suisse propose également un dispositif d’imposition forfaitaire, bien que l’État helvétique affirme que moins de 0,1% de ses contribuables sont imposés selon cette méthode .
Le fonctionnement diffère du modèle italien : au lieu de prélever des taxes basées sur le revenu ou la fortune, certains cantons suisses calculent un taux basé sur les dépenses de l’individu. Un seuil minimum a toutefois été fixé pour ce prélèvement forfaitaire .
Ce montant plancher correspond au plus élevé de deux chiffres : soit sept fois votre loyer annuel (ou la valeur locative de votre résidence principale), soit un minimum de 429 100 CHF (environ 455 000 €) . Ces seuils s’appliquent au niveau fédéral, mais certains cantons peuvent augmenter la somme minimale.
Pour être éligible au forfait fiscal suisse, vous ne devez pas avoir la nationalité suisse et devez vous installer dans le pays pour la première fois – ou après une absence de 10 ans ou plus. Les bénéficiaires ne sont pas autorisés à exercer une activité professionnelle ou à gérer une entreprise en Suisse .
Ce mécanisme cible donc principalement une catégorie très spécifique de grandes fortunes : celles disposant de revenus passifs substantiels et n’ayant pas besoin d’exercer une activité professionnelle en Suisse.
Le Portugal : une refonte stratégique des avantages fiscaux
Les avantages fiscaux sont devenus un sujet polémique au Portugal en raison de la flambée des prix immobiliers, en partie alimentée par l’arrivée d’étrangers fortunés . Malgré ces controverses, après avoir réduit certains avantages l’année dernière, le gouvernement portugais réintroduit actuellement des allègements fiscaux pour les expatriés .
Gregory Goossens, avocat fiscaliste chez Taxpatria, explique que « le Portugal disposait du régime NHR qui permettait de vivre au Portugal pendant 10 ans au maximum et de ne pas payer beaucoup d’impôts sur les revenus étrangers » . Cette politique a séduit de nombreux retraités qui pouvaient ne payer aucun impôt sur leurs pensions étrangères.
Pour ceux qui généraient des revenus au Portugal, certaines activités étaient imposées à un taux préférentiel de 20% . Ces avantages ont suscité des critiques, notamment des pays nordiques qui observaient un exode de leurs citoyens âgés.
Face à ces pressions, le Portugal a modifié ses allègements fiscaux pour « se concentrer sur les personnes ayant un niveau d’éducation qui peuvent réellement apporter quelque chose à l’économie portugaise » . Le ministre portugais des Finances a indiqué au Financial Times que les salaires et revenus professionnels seraient éligibles aux allègements fiscaux dans le cadre des nouvelles règles, tandis que les pensions, dividendes et plus-values seraient exclus .
Cette évolution stratégique offre aux gestionnaires de patrimoine l’opportunité de repenser leurs recommandations pour leurs clients actifs professionnellement, tout en envisageant d’autres alternatives pour les retraités.
Les sociétés holding : une zone grise d’optimisation fiscale
Une autre stratégie utilisée par les grandes fortunes pour bénéficier de taux d’imposition effectifs réduits est le recours aux sociétés holding. Selon l’Observatoire fiscal de l’UE, ces structures se situent « dans une zone grise entre l’évitement et l’évasion fiscale » car elles sont conçues pour éviter l’impôt sur le revenu .
Les personnes qui protègent leurs actifs de cette manière décident de placer leur patrimoine au nom d’une société qu’elles contrôlent, au lieu de le classer comme revenu personnel. Les retraits de la société sont imposés aux taux normaux, mais le contribuable peut conserver l’excédent dans la société holding .
La mise en place d’une telle structure est particulièrement rentable dans les pays où le taux d’imposition des sociétés est bas. Les pays intéressants à cet égard sont l’Irlande (12,5%), la Hongrie (9%), la Bulgarie (10%) et Chypre (12,5%) .
L’OCDE travaille avec les États membres pour instaurer un taux d’imposition minimal mondial des sociétés de 15%. Toutefois, cela ne s’applique qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros . Plus de 140 pays ont adhéré à cet accord, mais sa mise en œuvre est encore en cours.
Une planification fiscale multifactorielle
La planification fiscale ne peut pas se limiter à un ou deux types de taux, mais doit prendre en compte tout un ensemble de facteurs, selon les experts interrogés par Euronews . Les frais à considérer comprennent les impôts sur les revenus personnels et des sociétés, les plus-values, les successions et le patrimoine, ainsi que les charges de sécurité sociale.
Outre les destinations mentionnées précédemment, des pays comme Malte, le Royaume-Uni et Monaco peuvent tous être considérés comme fiscalement avantageux, mais tout dépend de la nature des revenus de chacun . Dans certains cas, même des zones réputées à forte fiscalité comme la Belgique peuvent être qualifiées de paradis fiscaux pour certains profils.
Jason Porter, directeur du développement commercial chez Blevins Franks Financial Management, défend ces politiques d’attraction fiscale : « Les nations ne proposeraient pas d’allègements fiscaux ou de visas spécialisés aux riches si cela n’entraînait pas un avantage global pour l’État supérieur au coût » .
L’expert souligne que « les recettes fiscales qu’ils collectent seront supérieures à celles qu’ils auraient sans cet encouragement, car les personnes concernées ne s’y seraient probablement pas installées autrement » .
Il ajoute qu’il est important de prendre en compte l’ensemble des bénéfices potentiels, notamment le marché immobilier, les dépenses dans les entreprises locales et les investissements entrepreneuriaux locaux .
Recommandations pratiques pour les gestionnaires de patrimoine
La diversification fiscale internationale représente un enjeu stratégique majeur pour les gestionnaires de fortune en 2024. Plusieurs points méritent une attention particulière :
- Analyse personnalisée des profils de revenus : Chaque client fortuné possède une structure de revenus unique. Un diagnostic fiscal précis permettra d’identifier la juridiction optimale.
- Anticipation des évolutions réglementaires : Les régimes fiscaux préférentiels évoluent rapidement. Le rôle du conseiller patrimonial est d’anticiper ces changements pour ajuster la stratégie en conséquence.
- Équilibre entre optimisation et sécurité juridique : Les sociétés holding offrent des avantages indéniables mais s’inscrivent dans une « zone grise » qui nécessite une vigilance particulière pour éviter toute requalification.
- Évaluation du coût global d’expatriation : Au-delà de l’avantage fiscal, l’installation dans un nouveau pays engendre des coûts significatifs qu’il convient d’intégrer dans l’analyse complète.
- Prise en compte des enjeux de succession : La planification fiscale internationale doit anticiper les questions de transmission patrimoniale, particulièrement complexes en contexte transfrontalier.
Face à l’évolution constante de la fiscalité internationale, le gestionnaire de patrimoine doit adopter une posture d’expert à jour des dernières modifications législatives dans les principales juridictions européennes. Cette expertise représente une valeur ajoutée déterminante pour fidéliser une clientèle fortunée en quête d’optimisation fiscale.
Les arbitrages entre attraction des grandes fortunes étrangères et équité fiscale continueront d’alimenter les débats politiques. Dans ce contexte mouvant, l’agilité et l’expertise des conseillers patrimoniaux constituent un avantage concurrentiel décisif pour guider efficacement leurs clients fortunés.