Le paysage économique mondial évolue rapidement, marqué par un protectionnisme croissant des États-Unis. Ce « basculement américain », tel que présenté par François Villeroy de Galhau dans sa lettre au Président de la République 2025, pose des défis majeurs pour la France et l’Europe. Alors que la lutte contre l’inflation affiche des résultats encourageants, la montée en puissance des politiques protectionnistes initiées par la nouvelle administration américaine restructure les relations commerciales mondiales. Dans ce contexte, le gouverneur de la Banque de France appelle à une mobilisation générale et propose quatre axes stratégiques pour renforcer l’autonomie et la compétitivité du bloc européen. Analysons ces pistes et leur pertinence dans le contexte actuel.
Sommaire
Une souveraineté monétaire européenne à consolider
La souveraineté monétaire est un pilier fondamental pour affirmer l’autonomie stratégique de l’Europe. En 2024, l’euro représentait 19,6 % des réserves mondiales, contre 59 % pour le dollar. Cette domination du dollar américain crée un levier de pression économique puissant pour les États-Unis, particulièrement dans des contextes de tensions géopolitiques. Face à cela, François Villeroy de Galhau insiste sur l’importance d’un renforcement de l’euro comme monnaie d’échange internationale.
Pour y parvenir, une des priorités est la réduction de la dépendance énergétique européenne qui expose le bloc à des fluctuations monétaires majeures. En 2023, les importations d’énergie représentaient près de 70 % du total des besoins européens. L’accélération de la transition verte, notamment par l’investissement dans les énergies renouvelables, offre une double opportunité : sécuriser l’approvisionnement et limiter l’impact des variations du dollar. À titre d’exemple, le plan REPowerEU prévoit d’investir 210 milliards d’euros d’ici 2027 pour renforcer la capacité énergétique européenne. En outre, la perspective d’un euro numérique, déjà à l’étude par la Banque centrale européenne, pourrait jouer un rôle clé dans la diversification des paiements transfrontaliers tout en réduisant les coûts structurels liés aux échanges internationaux.
Rééquilibrer les finances publiques françaises
La France doit également reconquérir sa souveraineté budgétaire. En 2025, la dette publique française représente 111,4 % du PIB, selon les dernières données publiées par Eurostat. Cette situation limite ses marges de manœuvre face aux chocs économiques futurs. François Villeroy de Galhau propose d’adopter une discipline budgétaire plus stricte tout en promouvant une croissance soutenable et équitable.
Pour cela, le gouverneur de la Banque de France appelle à une réforme profonde des dépenses publiques. En France, l’État dépense en moyenne 56 % du PIB chaque année, un niveau parmi les plus élevés d’Europe. Bien qu’efficace dans certains secteurs comme la santé ou l’éducation, cette approche peut limiter l’investissement productif. L’une des pistes évoquées concerne une meilleure allocation des ressources pour privilégier les innovations technologiques et un soutien accru aux petites et moyennes entreprises, moteurs de l’emploi et de la compétitivité. Par exemple, en 2024, les PME françaises contribuaient à 33 % des exportations nationales, mais un manque de financement freine leur expansion internationale.
Investir dans le travail pour relancer la croissance
Le troisième axe défendu par François Villeroy de Galhau souligne l’urgence d’investir dans le travail pour stimuler la croissance économique de manière durable. En 2025, le taux de chômage en France reste stable autour de 7,1 %, mais des disparités persistent selon les régions et les niveaux de qualification.
L’investissement dans la formation professionnelle est un levier stratégique pour répondre aux besoins croissants d’un marché du travail en mutation, notamment dans les secteurs de la transition écologique et du numérique. Selon une étude de McKinsey (2024), 23 % des travailleurs européens devront acquérir de nouvelles compétences d’ici 2030 pour rester compétitifs. En outre, une meilleure structuration de l’emploi des jeunes, qui représentent 16,3 % de la population active française en 2025, est essentielle. Des mesures comme la baisse des charges patronales ou l’élargissement des programmes d’alternance permettraient de mieux intégrer cette catégorie dans des emplois qualifiés.
Par ailleurs, la robotisation et l’intelligence artificielle modifient la nature même du travail. En 2025, l’automatisation devrait remplacer près de 15 % des tâches répétitives, mais créer également de nouvelles opportunités, notamment dans la gestion des données et les compétences analytiques. Des initiatives comme le programme « France Travail », lancé en début d’année, visent à adapter les dispositifs d’accompagnement aux besoins spécifiques de ces secteurs en forte croissance.
Une Europe innovante et intégrée pour répondre aux défis mondiaux
Enfin, l’Europe doit activer ses nombreux atouts en misant sur une intégration accrue et une politique d’innovation ambitieuse. À l’heure où les États-Unis adoptent des mesures protectionnistes, telles que les subventions massives de l’Inflation Reduction Act, l’Union européenne doit se structurer en tant qu’acteur incontournable du marché mondial.
L’innovation technologique est une réponse directe à ces enjeux commerciaux et industriels. En 2024, les investissements en recherche et développement (R&D) atteignaient 2,3 % du PIB européen, contre 3,1 % aux États-Unis. Ce retard pourrait être comblé par des programmes comme Horizon Europe, qui prévoit une enveloppe de 95,5 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Des avancées notables sont déjà visibles dans l’industrie des batteries électriques et des semi-conducteurs. Par exemple, la Gigafactory de Tesla installée à Berlin vise à concurrencer les États-Unis et la Chine sur le marché de la mobilité électronique.
Sur le plan politique, un renforcement de l’intégration européenne est également essentiel. En 2025, la fragmentation des politiques fiscales et sociales entre les membres continue d’affaiblir la compétitivité du bloc. Une harmonisation accrue pourrait limiter les disparités et renforcer le poids de l’Europe dans la négociation d’accords internationaux. Enfin, le partenariat stratégique avec des puissances émergentes, comme l’Inde ou le Brésil, pourrait ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux tout en limitant les dépendances vis-à-vis des États-Unis.
Conclusion
La lettre adressée au Président de la République en avril 2025 est un appel urgent à agir dans un contexte mondial en pleine reconfiguration. La France et l’Europe disposent d’atouts significatifs pour relever ces défis : un cadre institutionnel solide, une capacité d’innovation en hausse et une volonté politique essentielle pour s’affirmer. Toutefois, réussir cette transformation exige une mobilisation coordonnée entre acteurs publics et privés, afin de répondre aux aspirations économiques et sociales des citoyens, tout en renforçant leur position dans un monde multipolaire incertain.