Le déficit budgétaire : un outil économique sous-estimé ou un risque mal géré ?

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Une opportunité dans un contexte de capacités productives inutilisées

Le déficit budgétaire est souvent perçu comme un fardeau financier pour les États. Pourtant, ce dernier peut se révéler être une puissante stratégie économique, notamment lorsqu’un pays dispose de capacités productives inutilisées. Ces capacités — ressources sous-exploitées telles que des taux de chômage élevés ou des infrastructures inactives — offrent à l’économie un potentiel inexploité. Dans ce contexte, l’augmentation des dépenses publiques peut jouer le rôle de catalyseur de la reprise économique.

Prenons l’exemple des investissements dans les infrastructures. Lorsque les gouvernements injectent des capitaux dans des projets tels que les transports, la transition énergétique ou les technologies numériques, cela stimule immédiatement la demande intérieure. Par exemple, un plan d’infrastructure massif aux États-Unis, doté d’un budget de 1 200 milliards de dollars, a permis de moderniser les ponts, routes et réseaux électriques tout en favorisant la réinsertion de nombreux travailleurs au chômage durant la pandémie. Une telle logique empêche non seulement les ressources humaines et matérielles de rester inactives, mais elle favorise également une augmentation de la consommation des ménages et des investissements des entreprises.

Dans de tels scénarios, un déficit budgétaire bien ciblé peut offrir un double avantage : une relance de l’activité économique à court terme sans provoquer de fortes tensions inflationnistes. Contrairement aux idées reçues, ce type de déficit se comporte plutôt comme un moteur de croissance qu’une menace économique immédiate.

L’absence de risque inflationniste immédiat

Contrairement aux scénarios catastrophiques souvent évoqués, le déficit budgétaire appliqué dans un environnement de capacités inutilisées ne conduit pas à une surchauffe économique immédiate. Les mécanismes sont ici relativement simples : tant que l’offre (producteurs, main-d’œuvre, infrastructures) peut répondre à une demande accrue, les risques d’inflation restent sous contrôle.

Une comparaison intéressante peut être faite entre les économies européennes et asiatiques touchées par la crise de 2020. En Europe, des plans de relance comme le fameux Next Generation EU, qui mobilise 750 milliards d’euros exclusivement pour financer des innovations et des projets écologiques, ont permis d’injecter des fonds dans les régions les plus durement touchées. Ces plans ont abouti à une augmentation moyenne de la croissance de 5 % en une année dans plusieurs pays membres, tout en stabilisant les prix. A contrario, une absence d’action aurait laissé ces régions face à des ressources sous-utilisées, ralentissant leur reprise.

Les États doivent cependant rester vigilants. Si l’économie atteint un niveau de pleine capacité productive, une stimulation budgétaire supplémentaire pourrait exercer une pression sur la demande, menant à une inflation incontrôlable. Une gestion minutieuse est donc essentielle pour déterminer jusqu’à quel point un déficit budgétaire peut être avantageux sans créer de déséquilibres structurels à long terme.

La dette publique et ses implications à long terme

L’expansion des déficits budgétaires soulève néanmoins une question centrale : celle de la dette publique. En effet, financer un déficit par l’endettement entraîne une augmentation du ratio dette/PIB des États. Or, une augmentation excessive de ce ratio peut limiter les marges de manœuvre financières futures.

Cependant, tout dépend de la capacité du pays à rentabiliser les investissements réalisés grâce au déficit. Si la croissance économique relancée dépasse le coût des emprunts contractés, l’effet s’avère favorable. C’est exactement ce qu’ont démontré certaines tendances récentes. En 2023, selon les chiffres publiés par le FMI, la croissance mondiale moyenne atteignait 3 %, tandis que les taux d’intérêt sur la dette publique restaient sous les 2 % pour des pays comme l’Allemagne et la France. Ces conditions permettent aux gouvernements d’alléger la charge relative de leur dette à long terme, en bénéficiant d’une croissance accrue.

Cependant, certaines économies en difficulté, comme l’Italie avec une dette atteignant 144 % de son PIB en 2023, montrent les limites possibles de cette stratégie. Une dette excessive combinée à une faible croissance peut entraîner un cercle vicieux : dépendance accrue aux marchés financiers, hausse des coûts d’emprunt, et réduction des investissements publics nécessaires pour assurer un futur durable.

L’importance de la perception des marchés financiers

Un autre point crucial réside dans la manière dont les marchés financiers perçoivent les déficits publics. Si la dette d’un État est jugée excessive ou mal gérée, les investisseurs peuvent demander des taux d’intérêt plus élevés pour continuer à prêter. Cela alourdit encore davantage la charge pour les finances publiques, mettant en péril d’autres domaines (santé, éducation, transition écologique, etc.).

Cependant, il existe de nombreux exemples où les investisseurs diffèrent dans leur jugement, favorisant une analyse au cas par cas. En 2022, les États-Unis présentaient une dette publique équivalente à 129 % de leur PIB, l’une des plus élevées parmi les grandes puissances. Pourtant, la confiance des investisseurs dans la force de leur économie a permis aux taux obligataires de rester compétitifs, renforçant la flexibilité budgétaire du gouvernement fédéral.

En revanche, les pays en développement ne bénéficient pas toujours de cette latitude. Ces économies, souvent lourdement endettées, se retrouvent vulnérables face à des investisseurs hésitants. C’est l’un des enjeux soulevés par les discussions du G20 en 2023, avec plusieurs initiatives en cours pour restructurer les dettes des pays africains, tout en plaidant pour une transparence accrue au sein des systèmes de gestion budgétaire.

Conclusion : un outil puissant, mais exigeant

Le déficit budgétaire, loin d’être systématiquement un problème, constitue un levier clé dans la politique économique contemporaine, en particulier pour les économies disposant de ressources non exploitées. Il permet de relancer la croissance, de réduire le chômage et d’investir dans des projets porteurs d’avenir. Toutefois, sa gestion demande une prudence extrême.

Il s’agit pour les gouvernements de trouver un équilibre délicat : utiliser les capacités sous-employées tout en évitant une dette incontrôlable ou une perte de confiance des marchés. En somme, le déficit budgétaire peut être un atout économique stratégique et temporaire, à condition qu’il soit manié avec une vision à long terme et dans des conditions macroéconomiques favorables.