Depuis plusieurs décennies, la zone euro fait preuve d’une résilience remarquable face aux chocs économiques. Crises financières, pandémies, tensions géopolitiques : autant de défis qui ont secoué cette union monétaire regroupant 20 pays. En 2024, alors que la conjoncture reste incertaine, de nombreuses questions se posent. Comment les économies de la zone euro parviennent-elles à maintenir le cap ? Quels mécanismes favorisent cette résistance ? Et quelles fragilités continuent de peser sur leurs ambitions de croissance à long terme ? Cet article propose une analyse approfondie des éléments structurels et conjoncturels qui façonnent le visage économique de la zone euro.
Sommaire
Une croissance modeste soutenue par la consommation
Les prévisions pour la zone euro sur les prochaines années révèlent une trajectoire de croissance modérée mais constante. Selon la Commission européenne, le produit intérieur brut (PIB) de la région devrait progresser de 0,8 % en 2024. Ce rythme, bien que faible, marque un rebond par rapport à l’année précédente, marquée par diverses pressions macroéconomiques. En 2025, cette croissance devrait s’accélérer à 1,3 %, pour atteindre 1,6 % en 2026.
Le moteur principal de cette reprise réside dans la consommation des ménages. Avec une détente progressive des tensions inflationnistes et une légère amélioration du pouvoir d’achat, les Européens semblent reprendre confiance. La baisse des taux d’intérêt prévue par la Banque Centrale Européenne (BCE) contribuera également à réduire les charges financières des ménages, stimulant les dépenses. Toutefois, un élément nuance cet optimisme : l’augmentation du taux d’épargne. Face à l’incertitude économique, nombre de foyers continuent de réserver une part croissante de leurs revenus, freinant ainsi la dynamique de consommation.
À titre d’exemple, en France, le taux d’épargne des ménages a atteint 18,6 % au deuxième trimestre 2023, bien au-dessus de la moyenne européenne. En Allemagne, également, les ménages adoptent une position prudente, influencée par les incertitudes liées à l’évolution de l’énergie et des tensions internationales. Ces comportements révèlent à quel point la gestion de l’incertitude reste un défi central pour la zone euro.
Une inflation en décrue mais toujours sous surveillance
Après avoir atteint des sommets historiques de 10,6 % en octobre 2022, l’inflation globale dans la zone euro amorce une baisse progressive. Les projections indiquent une diminution notable à 2,4 % en 2024, avant d’atteindre 2,1 % en 2025 et enfin 1,9 % en 2026, soit l’objectif cible de la BCE. Cette évolution doit beaucoup à la baisse des prix de l’énergie et à une relative stabilisation des coûts des matières premières.
Pour accompagner ce mouvement, la BCE prévoit une série de baisses des taux directeurs dès 2024. Ce revirement marque un ralentissement du resserrement monétaire qui avait pesé fortement sur l’accès au crédit et la croissance. Une telle politique vise à stimuler l’investissement tout en maintenant sous contrôle les tensions inflationnistes.
Cependant, des zones d’ombres subsistent. L’inflation sur les services reste tenace, portée par des hausses salariales dans plusieurs États membres. Par exemple, en Espagne, les négociations collectives ont entraîné des augmentations de salaires de plus de 4 % en 2023. Cette pression pourrait limiter les marges des entreprises et ralentir davantage l’investissement. Une autre limite provient de la désinflation importée. L’amélioration des prix des biens manufacturés, due notamment à la relance post-COVID en Chine, est susceptible de s’atténuer à moyen terme.
Ces incertitudes appellent à une vigilance accrue de la BCE, notamment dans sa stratégie de soutien aux économies de la région. Une révision inadéquate de la politique monétaire pourrait relancer une nouvelle spirale inflationniste.
Les faiblesses structurelles du secteur industriel
Si la consommation connaît un certain regain, le secteur industriel demeure le talon d’Achille de la zone euro. La production industrielle affiche un recul constant depuis 2022, pesant sur l’ensemble de l’économie. Selon Eurostat, la production a chuté de 1,1 % au deuxième trimestre 2023 par rapport au trimestre précédent. Les indices des directeurs d’achat (PMI) montrent également une contraction continue, tombant à 43,4 en septembre 2023, bien en-dessous du seuil des 50 qui sépare expansion et contraction.
Cette fragilité s’explique à la fois par des facteurs conjoncturels et structurels. D’une part, le coût élevé de l’énergie continue de pénaliser l’industrie, particulièrement dans des pays comme l’Italie et l’Allemagne fortement dépendants du gaz. D’autre part, la transition écologique et numérique peine à se concrétiser pleinement, faute d’investissements suffisants.
Les aides issues de la Facilité pour la Reprise et la Résilience (FRR) n’ont pas encore produit tous leurs effets. Par exemple, seulement 68 % des fonds alloués à l’Espagne ont été exécutés à la fin de 2023. Les retards dans la mise en œuvre de projets structurants limitent l’impact espéré sur la compétitivité industrielle. Autre point d’inquiétude : les niveaux d’investissement restent inférieurs à ceux d’avant la pandémie dans plusieurs secteurs clés. En 2023, les investissements hors logements ont augmenté de 3 %, mais cela demeure insuffisant pour compenser les déficits accumulés dans les industries stratégiques.
Un marché du travail robuste face aux déficits budgétaires
Malgré ces vents contraires, la zone euro peut se targuer d’un marché de l’emploi particulièrement dynamique. Le taux de chômage, historiquement bas, devrait se stabiliser à 6,1 % en 2024, avant de diminuer légèrement par la suite. Cette vigueur reflète la résilience de certains secteurs, notamment les services et la santé. Par exemple, en Irlande, le taux de chômage est descendu à 4,1 % en août 2023, un niveau proche du plein-emploi.
Cependant, les disparités persistent entre les pays membres. Alors que les Pays-Bas affichent un chômage inférieur à 4 %, l’Espagne demeure à un niveau nettement plus élevé, dépassant les 11 %. Ces écarts témoignent des différences structurelles dans les économies locales et des freins à une véritable convergence au sein de la zone euro.
Parallèlement, les efforts budgétaires des gouvernements commencent à porter leurs fruits. Les déficits publics, qui avaient explosé pendant la pandémie, devraient reculer à 3 % du PIB en 2024 et poursuivre sur cette tendance jusqu’à 2,8 % en 2026. La stratégie d’assainissement budgétaire, combinée à une dynamique économique modérée, devrait permettre aux États de réduire leur dette publique sans compromettre la croissance.
Cependant, de nombreux défis se profilent. La nécessaire adaptation aux impératifs climatiques pèsera sur les finances publiques, tout comme les investissements liés à l’autonomie stratégique européenne, notamment dans les domaines de la défense et des technologies critiques.
Risques globaux et rôle de la zone euro dans l’économie mondiale
À l’horizon 2025, plusieurs risques pourraient freiner les ambitions de la zone euro. Les tensions géopolitiques, notamment entre les États-Unis et la Chine, influencent la stabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales. L’incertitude économique en Chine, où la croissance marque le pas, pourrait également affecter les exportations européennes, notamment l’automobile et les produits de luxe.
Enfin, sur le plan interne, les divergences entre États membres pourraient s’accentuer. Certains pays du sud, tels que la Grèce et l’Italie, peinent à rattraper leur retard économique. À l’inverse, des nations du nord, comme les Pays-Bas ou l’Allemagne, affichent des performances bien plus robustes. Cette hétérogénéité constitue un défi pour la cohésion de l’union monétaire.
La zone euro se trouve à la croisée des chemins. Ses mécanismes de résilience, qu’il s’agisse d’une consommation soutenue ou d’un marché de l’emploi dynamique, lui permettent de traverser les crises avec solidité. Toutefois, les défis structurels et externes nécessitent une attention particulière. Face à ces incertitudes, seule une stratégie combinant réformes internes et coopération renforcée pourra garantir une croissance durable et inclusive pour l’ensemble des membres. La performance de la zone euro au cours des prochaines années sera déterminante pour son rôle sur la scène économique mondiale.