Avec l’essor fulgurant des technologies d’intelligence artificielle (IA) et de robotisation industrielle, les questions économiques, sociales et fiscales se multiplient. Parmi elles, une proposition audacieuse et controversée : diminuer les prélèvements sociaux sur les salaires en taxant l’IA et les robots. Initiative discutée dans plusieurs pays, dont la France, elle suscite des débats passionnés. Comment articuler ces deux problématiques et quelles sont les implications ? Cet article explore les tenants et aboutissants de ce sujet complexe, en analysant ses impacts potentiels sur l’économie, l’emploi et la compétitivité.
Sommaire
Taxer l’intelligence artificielle : un cadre légal en construction
Face à l’omniprésence des applications d’IA dans les entreprises et la multiplication des œuvres générées par algorithmes, la France a commencé à esquisser un cadre législatif spécifique. Le projet de loi en discussion ne vise pas directement à imposer les entreprises utilisant des solutions d’IA mais à réglementer et taxer les productions algorithmiques tirées de bases de données ou d’œuvres protégées.
Un exemple parlant de cette évolution concerne les créations artistiques générées par IA. Des outils comme DALL-E ou MidJourney permettent de produire des images en se basant sur d’énormes banques de données, souvent sans respecter les droits d’auteur. En réponse, des propositions législatives visent à redistribuer une partie des profits réalisés grâce à ces technologies vers les créateurs originaux. À travers une « taxe sur les œuvres générées par IA », la France espère garantir une rémunération équitable tout en favorisant l’innovation. Une taxe semblable, bien que différente dans sa forme, pourrait s’étendre à d’autres domaines où l’IA joue un rôle central.
Derrière cette dimension culturelle se cache une question plus large : comment taxer l’IA dans un cadre économique ? Pour que l’objectif de réduction des charges sociales soit envisageable, les recettes fiscales générées par l’IA doivent jouer un rôle structurant. Des discussions sont en cours pour imaginer un mécanisme capable de cibler les entreprises tirant parti des bénéfices de l’automatisation, sans pénaliser inutilement l’innovation.
Exemple de la Corée du Sud : un modèle pour la taxation des robots
La Corée du Sud a ouvert la voie à un système de taxation de l’automatisation en 2017 en introduisant une « taxe sur les robots ». Contrairement à ce que pourrait suggérer son nom, il ne s’agit pas d’une taxe directe sur l’utilisation des robots. Ce modèle réduit plutôt les avantages fiscaux autrefois accordés pour les investissements en automatisation, agissant indirectement comme une forme d’imposition. L’objectif est double : freiner le remplacement des travailleurs par des machines et compenser les pertes fiscales dues à la diminution des contributions salariales.
Les résultats de ce modèle offrent des enseignements intéressants. Bien que l’initiative ait généré des revenus supplémentaires, elle n’a pas fondamentalement ralenti l’adoption des technologies robotiques. En revanche, cela a donné l’opportunité aux autorités de repenser la manière dont les bénéfices de l’automatisation doivent être redistribués à l’échelle nationale.
Inspirée par cette initiative, la France réfléchit à son propre cadre fiscal, qui combinerait les apprentissages tirés des expérimentations étrangères tout en s’adaptant aux spécificités du marché européen.
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Les prélèvements sociaux représentent une part significative des revenus de l’État français. Ils permettent de financer des programmes essentiels tels que la sécurité sociale, l’assurance chômage ou la retraite. Actuellement, ces contributions sociales sont majoritairement supportées par les entreprises et les salariés, à travers des cotisations directement ponctionnées sur les salaires. La Contribution Sociale Généralisée (CSG) et la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale (CRDS) en sont deux éléments centraux.
Or, avec l’automatisation croissante des processus, les postes humains disparaissent ou se transforment. Ce déclin du travail humain diminue mécaniquement les recettes issues des cotisations sociales. Selon un rapport de l’OCDE, 14 % à 47 % des emplois dans les pays développés seraient exposés à des risques élevés d’automatisation d’ici 2035. Pour rétablir cet équilibre financier, une taxation de l’IA et des robots est envisagée comme solution innovante.
Une redistribution équitable en faveur des charges sociales
La taxation de l’automatisation consisterait à imposer, soit directement les entreprises exploitant massivement l’IA et les robots, soit leurs gains de productivité. Les fonds collectés permettraient alors de compenser une partie des déficits projetés des prélèvements sociaux et d’alléger leur poids sur les salaires.
Prenons un exemple chiffré pour mieux comprendre l’effet escompté. En 2022, les prélèvements sociaux représentaient près de 44 % d’un revenu brut médian en France. Une réduction de cinq points grâce à des recettes issues de la taxation de l’IA représenterait un gain substantiel pour les salariés et les employeurs. Toutefois, cela nécessiterait que cette nouvelle fiscalité génère des revenus significatifs. En supposant que le taux de taxation sur l’automatisation soit fixé à 5 % des profits associés, des milliards d’euros pourraient progressivement alimenter le budget de la sécurité sociale.
Ainsi, ce système inciterait les entreprises à internaliser le coût social des transformations technologiques tout en favorisant une redistribution ciblée, avec des effets bénéfiques directs sur le pouvoir d’achat des salariés.
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Redistribution et compétitivité : un équilibre délicat
Si taxer l’IA et les robots semble séduisant sur le papier, certains acteurs économiques redoutent des impacts négatifs, notamment sur la compétitivité internationale. La France, en tant que pays fortement industrialisé mais souvent jugé moins compétitif que ses voisins européens, pourrait voir ses entreprises désavantagées par une fiscalité trop lourde.
Innovation et relocalisation : des enjeux stratégiques majeurs
Limiter ou pénaliser l’adoption des nouvelles technologies pourrait ralentir l’innovation dans les entreprises françaises. Pour rester compétitives à l’échelle mondiale, celles-ci doivent investir massivement dans l’automatisation et profiter des gains de productivité qu’elle engendre. Dès lors, une taxation excessive pourrait dissuader certains investisseurs et entraîner des délocalisations. Par exemple, une multinationale basée en France pourrait choisir d’externaliser ses activités si la pression fiscale liée à l’IA devient trop importante.
Cependant, des ajustements précis du modèle fiscal peuvent éviter ces écueils. La mise en place de taux différenciés en fonction de la taille ou du secteur des entreprises, ainsi que des incitations à l’embauche de personnel qualifié pour accompagner les transformations numériques, pourrait équilibrer ces effets potentiellement contre-productifs.
Moduler la fiscalité pour encourager un développement inclusif
Certaines propositions mettent en avant un modèle « progressif ». Il s’agirait de graduer la taxation en fonction de l’intensité de l’automatisation dans une entreprise. Par exemple, une PME récemment équipée d’outils automatisés pour augmenter sa productivité pourrait bénéficier d’un allégement fiscal temporaire, tandis qu’une grande entreprise intégrant massivement des processus robotiques pourrait être taxée plus lourdement.
En outre, des fonds issus de la taxation pourraient être affectés à des programmes de reconversion professionnelle, répondant directement à l’un des défis majeurs posés par l’IA : la montée du chômage technologique.
Les autres pistes envisagées à l’échelle internationale
La taxation de l’automatisation et de l’IA ne peut être envisagée dans un cadre franco-français uniquement. Si les pays n’harmonisent pas leurs approches, cela pourrait entraîner des concurrences fiscales déséquilibrées. Plusieurs initiatives internationales permettent de réfléchir au sujet dans une perspective globale.
Une fiscalité coordonnée pour les multinationales
À l’image des accords de l’OCDE sur la taxation des multinationales à hauteur de 15 %, il pourrait être envisageable de créer un cadre global pour la taxation des technologies d’automatisation. Cela permettrait d’éviter que les grandes entreprises technologiques, comme les GAFAM, multiplient les sièges dans des juridictions fiscalement avantageuses afin d’échapper à cette nouvelle imposition.
Les cas européens : expérimentations et débats
En Europe, certains pays avancent déjà sur ces questions. L’Allemagne, avec sa forte industrie robotisée, réfléchit à un système fiscal capable d’encourager à la fois la compétitivité et la redistribution. En Italie, des débats autour de la taxation spécifique des services numériques, incluant l’usage de l’IA, ont récemment été évoqués.
Pour que la France puisse avancer efficacement sur ce terrain, un dialogue renforcé avec ses partenaires devra être entrepris afin de coordonner les efforts et limiter les biais compétitifs.